Histoire d'un vieux château de France -
Monographie du château de Montataire
par le baron de Condé

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LOUIS-JOSEPH DE MADAILLAN

MARQUIS DE MONTATAIRE
M. BILLARD - LES CHAUVELIN
LE CONSEILLER ROLLAND - MASSILLON

Dans le cours de son long procès avec son père, le marquis de Lassay avait appris que, réalisant sa menace, le marquis de Montataire avait vendu la terre dont il portait le nom.
Il s'en plaignait avec amertume en une lettre adressée à Mme de Sainte-Croix, sa grand'mère maternelle : …"J'ai trouvé une autre affaire qui me fait beaucoup de peine. C'est la terre de Montataire vendue à M. Billard, pour la somme de cent dix-sept mille livres. En vérité, c'est se défaire à bon marché d'une terre qu'il y avait près de trois cents ans qu'elle était dans notre maison" (1).
(1) Extrait de l'acte de vente (vingt pages en parchemin, Arch. du château de Montataire) :
"Haut et puissant seigneur, messire Louis de Madaillan de Lesparre, chevalier, seigneur, marquis de Montataire, Sainte-Croix et autres lieux… en la présence et du consentement de haut et puissant seigneur, messire Armand de Madaillan de Lesparre, chevalier, seigneur, marquis de Lassay et autres lieux ( celui-ci n'était ni présent, ni consentant, ni même alors informé de la vente)… vend le château de Montataire (suit l'énumération) à noble homme, messire Germain Billard, ancien avocat en la Cour du Parlement de Paris… au prix de 117.000 livres…"
On l'avait, dans le contrat de mariage d'Armand de Madaillan avec Mlle Sibour, évalué 160.000 livres. On sait que depuis cette époque, la valeur de l'argent a quintuplé.

La fille de ce M. Billard, qui était fort riche, épousa, le 11 juin 1682, Louis de Chauvelin, intendant en Franche-Comté. Ils eurent pour fils Louis de Chauvelin, chevalier, seigneur de Crisenoy, maître des requêtes et aussi intendant de justice en Franche-Comté (1).
(1) Relevé des Arch. de France, par M. de Chastelux (Revue histor., 1873, p. 168).

M. Billard étant mort vers 1696, sa veuve et les Chauvelin revendirent Montataire, le 12 mars 1700, à Pierre-Adam Roland, ou Rolland (on le trouve dans les actes écrit de l'une et l'autre manière), "conseiller du roi, couronne de France et de ses finances".
C'est du temps des Chauvelin et du conseiller Rolland, leur ami, que Massillon vint habiter le château de Montataire où il passa plusieurs vacances.
On montre encore l'allée droite tapissée de lierre, sous les remparts du château, où il aimait à se promener seul, lisant ou méditant, ainsi que le tout petit réduit, avec une admirable vue sur la vallée de l'Oise, où il se plaisait à se renfermer pendant des heures dans le silence et l'isolement le plus absolu, creusant profondément les grandes pensées qu'il développait ensuite dans ses sermons.
Il en composa plusieurs à Montataire.
Pendant un de ces séjours, il fit une conférence sur la sainteté du chrétien, dans l'église de Saint-Leu d'Esserent, où le bon Rollin lui amenait les élèves du collège de Beauvais dont il avait la direction (1).
(1) Rollin fut coadjuteur du collège de Beauvais, de 1696 à 1715. C'est là qu'il étudia, essaya et mit en pratique ce système d'instruction et d'éducation qu'il exposa plus tard dans son célèbre Traité des Etudes.

Massillon était très simple et, comme on dit familièrement, bon enfant, à la campagne. Il se montrait enjoué, poli, modeste, affable avec un esprit de conciliation parfait. Il avait une profonde connaissance du cœur humain, sans que cela le rendît le moins du monde misanthrope. On sait que son éloquence, en chaire, était entraînante et sympathique. Il pouvait compter, disent les notes du temps, autant d'amis que d'auditeurs et tel était le naturel de sa parole, qu'il semblait toujours parler d'abondance. Cependant ses sermons étaient très étudiés et, comme il n'était pas absolument sûr de sa mémoire, sa grande préoccupation, quand il prêchait, on ne l'aurait jamais cru, était la crainte de rester court. Il ne pouvait oublier une terrible aventure de sa jeunesse. Deux de ses confrères et lui (il était oratorien) avaient à prêcher la Passion, un Vendredi-Saint. Comme ces trois sermons devaient être prononcés à des heures différentes, ils s'étaient promis, les uns les autres, d'aller s'entendre réciproquement. Or il arriva que le premier, intimidé peut-être par la présence de ses amis, resta tout à coup interloqué sans pouvoir continuer qu'au bout de quelque temps en se raccrochant, tant bien que mal, à son sujet. Terrifiés par cet exemple, les deux autres, quoi qu'ils fissent, et par une sorte de contagion qui les prit sans qu'ils pussent l'éviter, restèrent également court au beau milieu de leurs sermons.
Le conseiller Rolland étant venu à trépasser, comme l'avait fait son ami maître Billard, sa veuve, Marguerite-Agnès de la Bennodière, et ses cinq fils mineurs, à savoir : messire Jacques Rolland de Montataire, messire Pierre-François Rolland de Vignolles (1), messire Jean-René Rolland de Lory, messire Guillaume-Germain-Pierre Rolland de Besuches, et messire Jean-Baptiste-Guillaume Rolland (2), vendirent, le 3 juillet 1719, Montataire cent quarante mille livres, plus quatre mille livres d'épingles, à M. Geoffrin, écuyer, conseiller secrétaire du roi, des mains duquel il passa presque immédiatement après (13 juillet 1720) à un autre conseiller du roi en ses conseils d'Etat et privé, nommé Moreau. Comme maître Billard l'avait acheté fort bon marché, il était facile, à chaque revente, de réaliser un bénéfice qui pouvait tenter ces messieurs.
(1) Le domaine de Vignolles se composait d'un fief, bois, prés et cours d'eau, provenant de Mathieu d'Erquinvilliers, dit le Borgne, seigneur de Montataire au XIVe siècle, plus, d'une partie supérieure plantée en vignes, d'où ce domaine avait pris son nom. On y a ajouté depuis (en 1719) les bois du fief de Gournay, afin d'en former un parc, lequel dépend encore aujourd'hui du château.
(2) Ces Rolland étaient d'une ancienne famille de robe à laquelle appartint, plus tard, M. Rolland d'Erceville, président de chambre au Parlement de Paris, et qu'il ne faut pas confondre avec celle de M. Roland de La Platière, chef des Girondins, ministre en 1792, mari de la célèbre Mme Roland.

Enfin, en 1725, Montataire sortit de robe et rentra en épée, dans la famille de ses anciens seigneurs, ayant été racheté, le 3 juillet 1725, par le neveu du marquis de Lassay, Louis-Joseph, comte de Madaillan, qui reprit bientôt après le titre de marquis de Montataire.
On lui fit payer cent cinquante mille livres, sans compter les meubles, évalués séparément, ce que, dans un moment de mauvaise humeur, son grand-oncle avait vendu cent dix-sept mille.
Le nouveau propriétaire eut un procès à soutenir avec le maréchal de Luxembourg, ou plutôt avec sa succession représentée par Charles-François-Frédéric de Montmorency, pair et premier baron chrétien, etc., au sujet du fief d'Arquinvillers, annexé au parc de Vignolles, lequel fief relevait de Précy, dont les Montmorency étaient seigneurs.
Il ne rendit que le 12 juillet 1732 ses foi et hommage au roi pour Montataire.
Dans l'acte officiel rédigé à cette occasion, sont très explicitement rappelés les droits seigneuriaux, alors encore en vigueur : "Et à la seigneurie de Montataire appartient la justice haute, moyenne et basse, avec les droits de voirie, police, chasse, pêche, etc… Pour l'exercice de laquelle il y a prévost, procureur fiscal, greffier et sergent qui exercent pour le seigneur ladite justice, … etc".
Le petit monument connu sous le nom de dôme, bâti au temps de la Réforme pour servir de prêche, avait été, depuis le retour des Madaillan à la foi catholique, converti en salle de justice. Les inventaires du temps de Louis-Joseph de Madaillan mentionnent qu'il s'y trouvait un fauteuil doré pour le prévôt, une chaise et une table couverte d'un tapis vert pour le greffier, une autre chaise pour le sergent et un banc de bois de chêne pour les prévenus.
Le comte de Madaillan avait épousé Anne-Julie de Bechameil, fille de M. de Bechameil, marquis de Nointel, financier fort riche, surtout connu du public par l'excellente sauce blanche à laquelle il a laissé son nom. "C'était, dit Saint-Simon, un homme d'esprit et fort à sa place, qui faisait une chère délicate et choisie en mets et en compagnie, et qui voyait chez lui la meilleure de la ville et la plus distinguée de la cour. Son goût était exquis en tableaux, en pierreries, en meubles, en bâtiments, en jardins, et c'est lui qui a fait tout ce qu'il y a de plus beau à Saint-Cloud. Le roi, qui le traitait bien, le consultait souvent sur ses bâtiments et sur ses jardins… Son fils, qui portait le nom de Nointel, fut intendant en Bretagne et fort honnête homme, que Monsieur fit faire conseiller d'Etat. Bechameil fit de prodigieuses dépenses à faire des beautés en cette terre (de Nointel) en Beauvoisis". Il l'avait acquise d'Edouard Ollier, conseiller d'Etat célèbre par ses ambassades, en faveur de qui ce fief, ancien domaine des Attichy, puis des Nesles d'Offémont et des Humières, avait été érigé en marquisat, en 1634.
Une des filles de Bechameil épousa un Cossé, qui devint duc de Brissac.
Son fils, dont parle Saint-Simon, Louis-Claude de Bechameil, marquis de Nointel, conseiller du roi en son conseil, beau-frère du marquis de Montataire, figure dans plusieurs des actes relatifs à ce dernier. Il ne paraît pas avoir laissé de postérité. En 1759, le prince de Condé acheta le château de Nointel pour le réunir au domaine de Clermont. On retrouve, dans le Voyage pittoresque de France, dédié au roi en 1792, un dessin de ce château qui, vendu nationalement bientôt après, fut démoli en 1810.
Louis-Joseph de Madaillan vécut quatorze ans après son acquisition de Montataire. On a de nombreux actes de lui. Voici le fac-similé de sa signature :
Signature de Louis-Joseph de Madaillan

Il mourut le 18 mai 1739 et fut inhumé sous le chœur de l'église de Montataire, où l'on peut lire encore sur une plaque de marbre noir surmontée de ses armoiries l'épitaphe suivante :
Epitaphe de Louis-Joseph de Madaillan surmontée de ses armoiries

Il ne laissait pas d'enfants. Montataire passa à sa sœur Esther-Marie-Louise de Madaillan, qui avait épousé Michel-François de Valladons, comte de Perthus.
Un mois environ après la mort de son frère, le 15 août 1739, elle fit faire un inventaire des meubles qui garnissaient le château. Cette pièce est assez curieuse. Elle mentionne la chambre du roi, la chambre du cardinal, dans laquelle se trouvait le portrait d'Odet de Châtillon. La salle du dôme y est appelée le Plaidoyer.
Un peu plus tard (janvier 1741), désirant, en la mémoire de son dit frère, secourir les nécessiteux de Montataire, elle fit dresser par les soins de son prévôt, et en assemblée générale des habitants, une liste officielle des pauvres de la paroisse (il ne s'en trouvait alors que trente et un) : "Rolle du nombre des pauvres de la paroisse de Montataire et de la quantité de pain qui se distribuera à un chacun en particulier… Fait par nous… prévost et garde-justice des terres et Seigneurie de ladite paroisse de Montataire, pour les seigneur et dame dudit lieu, etc.".
En 1766, Mme de Perthus étant devenue veuve, d'accord avec la veuve de son frère, laquelle vivait encore, se décida à vendre Montataire (1).
(1) Du 14 janvier 1756. - "Par-devant les conseillers du Roy, notaires au Châtelet de Paris, soussignez, fut présente haute et puissante dame Esther-Marie-Louise de Madaillan de Lespare, veuve de haut et puissant seigneur Michel-François de Valladons, chevalier, comte de Perthus, seigneur du Moulinneuf, Laragotière, Lamotinay et autres places, chevalier de l'ordre de Saint-Louis, gouverneur, pour le Roy, de Bellegarde et dépendances, demeurant à Paris, rue de Condé, faubourg Saint-Germain, paroisse Saint-Sulpice, laquelle, en la présence et du consentement de haute et puissante dame Julie de Bechameil de Nointel, veuve de haut et puissant seigneur messire Louis-Joseph de Madaillan de Lespare, marquis de Montataire, ancien capitaine, sous-lieutenant des gens d'armes de la garde du Roy, mestre de camp de cavalerie, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, lieutenant pour le Roy au gouvernement de la ville de Rennes… a, par ces présentes, vendu, transporté et délaissé à Jean-Baptiste de Lorbehaye, etc.".

Elle l'avait gardé dix-sept ans après la mort du marquis, ce qui en faisait trente de possession par ces derniers Madaillan et bien près de trois siècles depuis l'acquisition faite par Arnaulton, en l'an 1466.
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