Les frères et les sœurs de Mathilde sont mêlés à son existence ; ils figurent avec elle dans plusieurs actes. Ils s'intéressaient à Montataire et ont fait aux établissements religieux de cette localité des donations qu'il est convenable de rappeler.
L'aîné, Raoul, joua un certain rôle dans l'histoire et fut fort en faveur près des rois Louis le Jeune et Philippe-Auguste.
Il avait épousé Alix ou Aëlis, fille aînée de Vallerand IV, seigneur de Breteuil, et depuis, dame de Breteuil elle-même.
Dom Grenier dit avoir vu un sceau de la comtesse la représentant debout, vêtue d'une robe très étroite, à longues manches pendantes, tenant en la main une fleurs de lis, symbole de son origine maternelle, laquelle remontait au roi Louis le Gros (1).
(1) D. Grenier, CLXVIII, p. 90.
Simon, le second frère de Mathilde, seigneur d'Offemont et de Mello, épousa la deuxième fille du sire de Breteuil, qui lui apporta en dot la seigneurie d'Ailly-sur-Noye. De là vinrent les Clermont-Ailly-Nesle dont était le maréchal de Nesle, tué à la bataille de Courtrai.
Le dernier des frères de Mathilde, Hugues, avait été voué à Dieu, dès sa jeunesse. Il fut successivement abbé de Citeaux, de Saint-Lucien et de Cluny, où il décéda le 6 avril 1199 (1). Son épitaphe se trouvait dans l'église de cette célèbre abbaye. On a conservé le quatrain que le chronologiste de Cluny lui avait consacré en vers latins qui ne valent pas assurément ceux d'Horace ou de Virgile :
Sanguine régali bone natus et imperali
De Claromonte clarissimum extitit ipse
Abbas dum vixit cluniacus in alta refusit.
Dum rexit, claustrum mansit sine murmure claustrum.
(1) Chronolog. de Cluny. Dom Luc d'Achery en son édit. de Guibert de Nogent, p. 606.
L'une des sœurs de Mathilde, Marguerite, avait été mariée, en 1152, à Guy de Senlis, bouteillier de France, seigneur de Chantilly. Elle eut en dot cette moitié du domaine de Luzarches, que son grand-père Hugues avait eu tant de peine à reprendre au comte de Beaumont. Au lit de mort, elle fonda une lampe qui devait brûler à perpétuité dans l'église de Saint-Frambourg de Senlis (1).
L'église a disparu et la lampe de la pieuse dame est à jamais éteinte.
L'aîné des frères de Mathilde, Raoul, dit le Roux, avait été châtelain de Creil, dès 1152.
Il devint, à la mort de son père, en 1157, comte de Clermont et seigneur de Breteuil (mais non plus de Luzarches, ni de Montataire, ces fiefs ayant été donnés en dot à ses sœurs). Il fut nommé, par le roi Louis le Jeune, connétable de France, lorsque cette charge devint vacante par la mort de Mathieu de Montmorency, en 1164.
Ce titre de connétable (
comes stabuli), quoique dès lors infiniment honorable, n'avait pas à cette époque l'importance qu'il a acquise depuis. Raoul, quoiqu'il lui eût été officiellement donné, paraît l'avoir pris rarement hors des camps. On ne le retrouve guère que dans un acte de l'année 1190 qui était conservé au couvent de Bellomer.
(1) Lettres de Geoffroy, évêque de Senlis, 1185.
On a de lui de très nombreuses chartes, particulièrement des années 1161, 1162 et 1163. Dans une de celles de 1162, il confirme la donation faite par son frère Gautier d'une dîme aux religieux de Jumièges résidant au prieuré Saint-Léonard de Montataire. Il se montra lui-même très généreux à l'égard de ce monastère auquel il concéda une île, un moulin et le droit de pêche sur la rivière. Voici la formule assez curieuse d'une de ces donations :
"In nomine sancte et individue Trinitatis, Amen, Amen, Amen. Ego Radulfus comes Clarimontis notum fieri volo omnibus, tam futuris quam presentibus, quoniam… pro salute mea et uxoris mee Aalyz, heredumque meorum, pro redemptione animarum nostrarum et predecessorum meorum, dedi Deo et ecclesie Sancti Petri Sanctique Leonardi de Monte-There, in elemosina, omniaque habebam in molindino de Levrel cum appendiciis et alnetum meum quod vocatur insula Comitisse ad usum scilicet monachorum in predicta ecclesia Deo servientium, ad tenenda libere et quiete".
Cette charte, conservée aux archives du département de la Seine-Inférieure, fonds de Jumièges, liasse
Montataire, est accompagnée du scel du comte Raoul représenté à cheval.
Dom Grenier dit aussi avoir vu, du comte Raoul, une donation faite à l'abbaye de Chaalis en 1163 portant son sceau en cire rouge, sain et entier, le représentant armé de toutes pièces et portant bannière.
Dans une donation faite en 1162 à l'abbaye d'Ourscamp, il s'intitulait comte de Clermont
par la grâce de Dieu.
Bien différent en cela de son père et de son grand-père, qui avaient laissé tant d'enfants, Raoul n'en avait pas un seul de la dame de Breteuil, sa femme ; c'était pour lui un grand chagrin. Demandant au ciel de lui accorder un héritier, il redoublait ses bonnes œuvres, ses aumônes et ses dons pieux. En 1165, il abandonnait au prieuré de Gournay-sur-Aronde toutes les terres qu'il possédait sur le territoire de cette paroisse, à la condition que l'un des chanoines serait exclusivement et constamment occupé à prier pour lui. Dans cet acte figurent cinq de ses frères et sœurs.
Trois ans plus tard, en 1168, ses vœux furent enfin exaucés, et il lui naquit un fils. En actions de grâces, il s'empressa de conférer aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem l'aumate des prébendes de Saint-Arnoul de Clermont et de Saint-Evremont de Creil.
En 1171, il exemptait le prieuré de Saint-Christophe-en-Halatte des droits de travers (passage par l'île et par les ponts) de Creil. En 1173, il concédait à l'abbaye d'Ourscamp l'investiture d'un bois entre Fouilleuse et Cressonsac. Le 24 février 1175, avec l'assentiment de ses frères, il abandonnait toutes les prébendes et les revenus qu'il possédait à Saint-Leu-d'Esserent, en faveur des religieux du monastère dans l'église desquels ses ancêtres avaient élu leur sépulture.
Ces religieux, reconnaissants, le choisirent pour leur avoué et protecteur, mirent à sa disposition un terrain pour y construire une maison forte et lui cédèrent la moitié de leur justice pour être exercée en son nom par ses officiers (1).
Cette même année 1175, il fut convié par Baudouin, comte de Hainaut, surnommé le Courageux, à une partie de plaisir d'un genre assez original.
(1) D. Grenier, t. CLXVIII, p. 90.- Comte de Luçay, p. 21.
Il s'agissait d'une sorte de gros tournoi entre deux petites armées d'hommes d'élite, c'est-à-dire d'une véritable bataille chevaleresque pour l'honneur.
Un certain nombre de seigneurs des plus renommés de Champagne et provinces environnantes avaient imaginé d'envoyer, à cet effet, un cartel au comte de Hainaut.
Le lieu du combat devait être la plaine qui s'étend entre Braine et Soissons. Lesdits seigneurs attendaient dans le château de Braine.
Ce genre de divertissement était fort dans les goûts du bon comte de Hainaut. Il avait accepté avec plaisir l'invitation pour lui et pour ses amis. Au jour à l'heure indiqués, il arrivait gaiement devant le château de Braine. Il s'était fait accompagner de quelques intimes, Raoul de Coucy, Bouchard de Montmorency et le comte de Clermont,
chevalier de grand renom, dit la chronique, avec une suite brillante de deux cents hommes d'armes et douze cents fantassins.
En voyant cette nombreuse société et cette belle contenance, les chevaliers champenois l'admirèrent beaucoup, mais ils trouvaient leurs invités un peu nombreux et se contentèrent de jouir du coup d'œil du haut de leurs remparts.
Le soir seulement, quand la petite armée, flattée, sans doute, de l'effet qu'elle avait produit, mais qui ne pouvait s'éterniser en ces parages, s'ébranlait pour se retirer et commençait à effectuer sa retraite, les Champenois sortirent et se mirent à la harceler et poursuivre.
Baudouin, Bouchard, Raoul et quelques autres des meilleurs se tenaient à l'arrière-garde pour se donner la satisfaction de ferrailler avec les poursuivants. Mais comme ceux-ci arrivaient en nombre et que l'action s'échauffait, les hommes d'armes du comte de Hainaut revinrent au galop, chargèrent lesdits poursuivants et les reconduisirent grand train, jusqu'aux portes et fossés de la ville, où plusieurs furent tués, noyés ou pris (1).
Et voilà comme l'on s'amusait en l'an de grâce 1175.
Mais ces jeux n'étaient que pour se faire la main et se tenir en haleine. L'année suivante, le comte Raoul seconda sérieusement ce même Baudouin dans sa campagne contre Jacques d'Avesnes.
(1) Chronique de Gislebert de Mons. Hist. de Fr., XIII, 576, 577. - Lépinois, X, 29.
Raoul possédait, non loin de Clermont, dans la forêt de Hez, une maison de chasse qui n'était autre, suivant l'usage, qu'un bon et solide château-fort muni de tours et de remparts.
Le trouvant trop solitaire, il accorda, à partir de l'an 1187, à tous ceux qui le désireraient, la permission de bâtir librement dans la forêt autour de cette habitation, affranchissant même les constructeurs de toute taille et imposition, afin de les attirer et encourager à bâtir .
On s'empressa de profiter de ces facilités, et l'agglomération de maisons qui se forma en ce lieu fut appelée la Nouvelle-Ville, la Neuville-en-Hez, nom qui lui est resté depuis et qui s'est étendu à la forêt appelée communément aujourd'hui forêt de la Neuville.
La bourgade existe encore, mais le château a disparu.
Détruit en 1212 (1), reconstruit, puis brûlé en 1590, il est probable que, par une exagération non prévue de la pensée de Raoul, il a livré jusqu'à la dernière des pierres qui le composaient pour servir à la construction des maisons environnantes.
(1) Guill. Lebreton, Hist. de Fr., XVII, 86, 231.- Gallia Christiana, IX, 738.
A l'époque où furent faits les dessins destinés à orner le
Voyage pittoresque en France, lequel fut imprimé (avec dédicace au roi), en 1792, il ne restait déjà plus que quelques vestiges, importants il est vrai, du château de la Neuville : une tour ronde, une façade à arcades, un pavillon carré. Aujourd'hui ces derniers vestiges eux-mêmes ont disparu. A leur place on ne trouve plus qu'un tertre de terre de quelques mètres de haut. Sur ce tertre on a placé récemment une statue de Saint-Louis, sur le piédestal de laquelle est écrit : "L'an 1215, naquit, en ce lieu, le bon roy Loys IX
e du nom".
L'opinion qui fait naître Saint-Louis au Château de la Neuville a été fort controversée et a donné lieu, au siècle dernier, à une assez vive polémique soutenue avec talent par Montfaucon et l'abbé Lebœuf, et depuis par M. Natalis de Wailly (1).
(1) Mémoire à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres publié, en 1866, dans la biblioth. de l'école des Chartes.h
En 1280, un Montmorency fut invité à venir chasser dans la forêt de Hez et loger au château de la Neuville avec ceux de sa suite. Il y séjourna cinq à six jours et, pendant ce temps, il y eut, cela va sans dire, grand train de veneurs, de chevaux et de chiens. La dépense fut considérable. D'après les comptes de Philippe de Beaumanoir, bailli de Clermont, elle monta à 11 livres 10 sols (1).
(1) On peut voir ces comptes tout au long, dans un intéressant mémoire de M. Bordier (Soc. acad. de l'Oise, VII, p. 169).
A l'exemple des rois de France et d'Angleterre et de Richard Cœur-de-Lion, alors duc d'Aquitaine, Raoul avait pris la croix en 1188 ou 1189. Il partit seulement au mois de mai 1190 avec le roi Philippe-Auguste, en compagnie d'Henri, comte de Champagne, de Thibault, comte de Blois, et d'Etienne, comte de Sancerre. Sa bannière de connétable flotta parmi celles de ces grands personnages devant Acre, l'imprenable forteresse dont le siège durait depuis deux ans. Il eut la satisfaction d'assister à la prise de la ville, mais il survécut peu au triomphe. Epuisé par les fatigues de la guerre, achevé par la maladie, il mourut le 15 octobre 1191.
Le roi Philippe-Auguste voulut se charger de faire connaître lui-même ses dernières volontés par un acte qui nous a été conservé et dont voici le bienveillant préambule :
Philippus Dei gratia Francorum rex, noveritis quod AMICUS et FIDELIS
noster Radulphus comes Clarimontis in lecto egritudinis me vovit…
(Suit le détail des dispositions de Raoul).
"
Actum in civitate Accon, anno Incarnat. 1191, mense Julio" (1).
(1) Louvet. Hist. et Antiq. du dioc. de Beauvais, I, 702. - Rigord, Hist. de France, XVII, 25, 31. - Bibl. de l'Ec. des Chartes, 1re série, 5, 35.
Le fils que Raoul avait tant désiré, mourut avant son père. Celui-ci ne laissa que des filles.
L'aînée, Catherine
(Catalina) qui, par la situation de son père, ses alliances et ses grands biens, était devenue un fort beau parti, fut recherchée en mariage par Louis de Champagne, fils du comte de Blois, sénéchal de France, et d'Alix de France, nièce du roi Philippe-Auguste.
Catherine était la propre nièce de Mathilde, dame de Montataire. Dans un acte du 12 juin 1195, on la voit, d'accord avec son mari, consentir à Ansold de Ronquerolles, un accroissement de fief au village dudit Montataire.
Ce fief est probablement celui qui fut désigné depuis sous le nom de Trossy. Il y avait, à Montataire, à cette époque, trois fiefs secondaires qui avaient été, dans l'origine, des démembrements de la Seigneurie du château : Trossy, Saint-Léonard, dont nous avons déjà parlé, et le prieuré de Royaumont, dont nous aurons occasion de dire quelques mots plus loin.
Le sceau de Catherine, que l'on retrouve appendu à plusieurs actes, porte un écu parti de Blois-Champagne et de Clermont (1). C'est Catherine et Louis de Champagne, comte de Blois, son mari qui donnèrent, en 1197, à la ville de Clermont, sa charte d'affranchissement (2).
(1) Inventaire des sceaux, I, 957. - Lépinois, X, 59.
(2) Mémoires de la Soc. acad. de Beauvais, IX, p. 36. - Lépinois, IX, p. 37. - Comte de Luçay, p. 287.
A la fin de cette charte, le comte déclare qu'il l'a jurée lui-même et qu'il a fait jurer avec lui Guy Camp-d'Avesnes (sénéchal de Ponthieu), Robert de la Tournelle (
Robertus de Tornella, fils aîné de Rogue de la Tournelle et cousin de la comtesse), et quelques autres.
Une charte semblable fut consentie par les mêmes, le 23 janvier 1197, en faveur de la ville de Creil.
Quelques années après, en juin 1202, Louis de Champagne, comte de Blois et de Clermont, partit, à son tour, pour les Croisades. Il guerroya quelque temps en Orient, assista à la prise de Constantinople et se vit attribuer, pour prix de sa coopération, le duché de Nicée et les reliques de saint Pierre et de saint André, qu'il s'empressa d'envoyer à sa femme.
Il ne jouit pas longtemps de son duché de Nicée, et fut tué à la bataille livrée sous les murs d'Andrinople, le 15 avril 1205. Il n'avait que trente-trois ans (1).
(1) Villehardouin, Hist. de France, XVIII, 462, 474.
Telles étaient alors les lenteurs de communications d'outre-mer que, plus d'un an après, Catherine ignorait encore la mort de son mari. Mais elle avait reçu les saintes reliques, et, le 2 novembre 1206, elle les portait pieusement et en grande pompe à Beauvais.
Le 12 novembre 1208 (elle savait alors qu'elle était veuve), elle fit une donation au monastère de Saint-Leu d'Esserent, afin qu'il fut prié
pour les âmes de "Raoul, son cher père, d'Adèle, sa mère, et de Louis, comte de bonne mémoire, son mari". L'année suivante (1209) elle fonda, au château de Creil, une chapelle dans laquelle on devait, à perpétuité, prier pour ses chers défunts.
Elle passa, elle-même, de vie à trépas, en 1213, ne laissant qu'un fils, Thibault, surnommé le jeune, ou le
Lépreux, lequel mourut tristement, sans hoirs, le 22 avril 1218, de l'affreuse maladie qu'il avait rapportée d'Espagne.
Il avait fait, en 1215, une donation au prieuré de Saint-Christophe-en-Halatte, une autre, l'année même de sa mort, à Saint-Evremont de Creil (1).
(1) Lépinois, pièce XCIV.
En lui finit la première dynastie des comtes de Clermont. Il ne restait aucune descendance directe de la branche aînée. Il n'y avait plus, comme héritiers, que des collatéraux, mais des collatéraux assez proches, ainsi que le fera voir, mieux que toutes les explications, le petit tableau suivant :
(Les morts sont marqués en italique, les vivants, année 1218, en capitales).
Renaud II, comte de Clermont. |
Raoul |
Catherine et Louis de Blois |
Thibaut le Lépreux |
Simon seigneur d'Ailly |
Raoul d'Ailly |
|
Marguerite |
Guy IV de Senlis |
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Mahaut, veuve d'Albéric, comte de Dammartin |
|
|
Mathilde de la Tournelle, dame de Montataire |
Robert de la Tournelle, seigneur de Montataire |
|
La succession était donc clairement représentée par une fille encore vivante et trois petits-fils de Renaud II, comte de Clermont.
Depuis longtemps le roi Philippe-Auguste, dont la grande préoccupation était de reconstituer l'unité de la France, désirait rentrer dans la possession du comté de Clermont. Il entama des négociations avec les héritiers, leur proposa de leur abandonner, en échange de leurs droits, différents domaines qui pouvaient être à leur convenance. Ils acceptèrent et donnèrent leur renonciation par une série d'actes qui existent encore (1). Ces actes sont tous de 1218 ; plusieurs furent passés à Creil : celui de Mahaut est du mois de mai ; celui de Guy de Senlis est de juillet et octobre ; celui de Robert de la Tournelle est daté de Compiègne, juillet 1218. Robert accepte, en échange de ses droits d'héritage sur le comté de Clermont, tout ce que le roi possède à Bonneuil (sauf toutefois la mouture).
(1) Delisle, Catal. des actes de Phil.-Aug., 401, n° 1825 ; 402, n° 1826.
Voici la teneur de cette pièce, redigée en français picard encore un peu sauvage :
"Je Robers de la Tournelle chevaliers - fais chose cognute à tous présents et avenir… que je à men très chier seigneur Phelippe par la grâce de Dieu roy des Frans, et à ses hoirs à tousjours ai donné et quietié quiconque chose que je réclamoie de droit héritage en le comté de Clermont de lescaete (héritage) me sire Thiébault comte de Blois et de Clermont, fil jadis Katerine de Blois et de Clermont, comtesse ; et à Ychelli, en bonne foy, ai juré sur les saints sacrés que, ne par moi, ne par autre, en le devant dite conté et en le devant dite eschaorte (héritage), aucune chose des ore en avant reclameray, ne travailleray en aucune manière Monseigneur le roy ou ses hoirs sur che".
"Fait à Compiègne, en l'an de Nostre Seigneur Mil IIe XVIII au mois de May" (1).
(1) Bibl. nat., Mss. 9493, fonds français.- Delisle, Catal. des actes de Phil.-Aug., p. 403, n° 1834.
Par suite de ces renonciations, le roi Philippe-Auguste devint possesseur du Comté de Clermont et de la châtellenie de Creil. Il prit immédiatement l'administration de ces domaines, ainsi que le constatent divers actes de 1219 (1).
(1) Delisle, Catal., p. 425, n° 1923.
Son petit-fils, le bon roi saint Louis, au moment de partir pour la croisade d'où il ne devait pas revenir vivant, donna à son plus jeune fils Robert, qui n'avait alors que quatorze ans, son chastel de Clermont avec toutes ses dépendances, la Neuville-en-Hez, Creelg (Creil) et ses appartenances (1).
(1) Lettre patente de mars 1269. Recueil des ordonnances des rois de France, XI, 342.
Robert épousa, en 1272, Béatrix de Bourgogne, dame de Bourbon, et devint ainsi la tige de l'illustre maison de ce nom.
Une petite-fille de Robert, arrière petite-fille par conséquent du roi saint Louis, Béatrix de Bourbon, mariée en 1334 à Jean de Luxembourg, reçut en dot la châtellenie de Creil, ainsi que la suzeraineté de Montataire.
Elle abandonna une partie des Marais de la vallée de l'Oise aux habitants de Creil, de Montataire et de Nogent-les-Vierges, à condition que les clergés des trois paroisses feraient, chaque année, au mois de juin, des processions en sa mémoire.
Cette condition est très fidèlement exécutée. Chaque année, le jour de l'ascension, à midi, on peut voir le clergé de Montataire, avec les confréries portant les bannières de la paroisse et les jeunes filles vêtues de blanc, descendre les longues avenues du château et aller processionnellement à Creil.
La même chose se pratique le même jour dans les deux autres paroisses.
Honneur aux habitants de Creil, de Montataire et de Nogent, qui ont à cœur de remplir fidèlement l'engagement accepté par leurs pères il y a six cents ans.
Jean de Luxembourg, mari de Béatrix, fut ce fameux Jean l'Aveugle, roi de Bohême et de Pologne, fidèle allié de la France, qui, bien que privé de la vue, voulut se trouver à la bataille de Crécy. Il y combattit valeureusement, ayant fait attacher son cheval à ceux de quatre chevaliers.
Ils furent, bien entendu, tués tous les cinq.
"La bataille étant engagée, le roi aveugle "dit "à ses gens : Mes hommes, mes amis, mes "compagnons, aujourd'hui seigneurs vous êtes. je "requiers que vous me meniez si avant que je "puisse férir un coup d'épée". Ceux-ci lièrent ensemble les brides de leurs chevaux, afin de ne pas perdre leur roi en la mêlée et se jetèrent en avant avec lui.
Ils avaient disparu dans le tourbillon. Le lendemain on reconnut les cinq cadavres à leurs chevaux liés ensemble.
On dit que frappé de ce chevaleresque et fatal héroïsme, le roi Edouard d'Angleterre, vainqueur en cette terrible journée, se fit apporter l'armure de Jean de Luxembourg.
Le casque était surmonté de trois plumes d'autruche liées avec une tresse d'or, au-dessous desquelles était gravée la devise de l'intrépide roi soldat, devise à laquelle il avait voulu se montrer fidèle jusqu'à la mort :
Ich diene (Je sers).
Edouard détacha ce panache et le donna à son fils, qui fut le célèbre prince Noir.
Les princes de Galles ont toujours porté depuis, en leurs armoiries et emblèmes, ces trois plumes de Jean de Luxembourg avec sa belle devise :
Ich diene.