Henri III était mort assassiné le 2 août 1589, laissant à Henri IV sa peu enviable succession.
" Puisque Henri III était le fils de Henri II, Henri IV, sûrement, devait être le fils de Henri III, me disait, avec une charmante naïveté, une charmante jeune dame espagnole qui visitait le château de Montataire. "
Une Française, je le suppose, ne commettrait pas une semblable hérésie, mais ce que tout le monde ne sait pas, c'est l'énorme distance qui séparait ces deux princes. Ils étaient parents seulement au
21e degré (1). Rarement le principe d'hérédité s'est exercé de plus loin et rarement aussi il s'est justifié d'une manière plus heureuse. C'était, du reste, un triste héritage que celui que le dernier des Valois laissait à son cousin de Navarre : un royaume en combustion, un pays profondément divisé par les passion politique et religieuses, les provinces soulevées, la capitale révoltée dont le roi était obligé de faire le siège. Le chef de la grande famille française n'hésita pas à accepter la rude tâche qui lui était dévolue ; il s'y donna tout entier.
(1) De Henri IV à saint Louis, 10 degrés ; de saint Louis à Henri III, 11.
Il se mit à reconquérir, morceau par morceau, ce royaume que ses ancêtres avaient eu tant de peine à constituer et dont il représentait l'unité.
Pour une telle entreprise, il avait seulement deux points d'appui : le droit, qui était fort discuté par les passions politiques, et le dévouement absolu d'un petit nombre de partisans presque tous gentilshommes, déterminés à tout sacrifier, à le suivre, à la vie, à la mort, à vendre leur argenterie et leur maison pour lui amener du renfort, et, bien entendue verser, s'il le fallait, leur sang pour lui sur le champs de bataille.
Cette fidélité à toute épreuve dans un temps où le succès était plus que douteux sera, dans l'histoire, l'éternel honneur et de celui qui a su inspirer de tels sentiments, et de cette pléiade de héros et d'hommes résolus qui ont si énergiquement contribué à sauver la France de l'anarchie.
Jean de Madaillan était du nombre de ces intrépides et de ces fidèles. Il se trouvait à Arques en septembre 1589. Les Mémoires du marquis de Lassay disent même qu'il fut blessé au genou d'un coup dont il resta estropié en cherchant, à la tête de sa compagnie, à dégager le roi de ses ennemis au milieu desquels il s'était trop avancé (1)
(1) Recueil de différentes choses, par le marquis de Lassay. Peut-être confond-il Arques avec Fontaine- Française, où Jean de Madaillan fut blessé six ans après. Les auteurs contemporains qui constatent la brillante coopération du seigneur de Montataire aux combats d'Arques, ne parlent pas de cette première blessure
Il est désigné sous le nom de Montataire dans le Mémoire des principaux qui assistaient le roi à la bataille d'Arques, à la suite du Récit véritable de ce qui s'y est passé, par Charles Duchesne, médecin de S.M. (1) il est nommé de même dans la liste des principaux de ceux qui accompagnèrent le roi en cette expédition donné par le comte d'Auvergne, depuis duc d'Angoulême, qui était présent et qui paya valeureusement de sa personne, liste glorieuse que je ne résiste pas au plaisir de citer tout entière
(1) Récit véritable de ce qui s'est passé au voyage du roy Henry quatrième, de Dieppe jusqu'à son retour, depuis le décès deu roy Henri troisième, par Charles Duchesne, médecin du roy, présent lors et servant Sa Majesté.
" MM le prince de Conty, le duc de Monpensier, le maréchal de Biron, M de Méru (Montmorency), M de Chastillon, M. de Montbazon, le comte de Rochefort, M. d'O, M. de Bellegarde, M. de la Force, M de la Rochefoucault, le comte de Roussy, le Sr de Rhodes fils, M de Roquelaure, M. de Beaupré, M. de Maintenon, M. de Chasteauvieux, M. Allégre, M. Bacqueville, M. Roannès, M. de Crèvecoeur, le comte de Torigny, M. de Rieux et M. de Guitry, tous deux maréchaux de camp, Beauvais la Nocle, Sainte-Marie du Mont, Lorges, Rambures, Vignolles, Ausbos, de Montcenerpon, Clermont-d'Amboise, le jeune l'Archan Bouveron, Canisy, Montataire, Richelieu, grand prévôt, Monglat, de Pont-Courlay, La Rochejacquelin, Espave (1)
(1) Mémoire très particuliers pour servir à l'histoire de Henri III et d'Henry IV, roy de France et de Navarre, par le duc d'Angoulême. Paris, 1667.
On lit au journal militaire de Henri IV (1) (septembre 1589) : " les jours suivant se sont passés avec longues escarmouches et combats jusque au jeudi vingt et unième de ce mois auquel l'ennemi parut dès la diane, faisant avancer cinq cent chevaux vers une tranchée à trois cent pas du logis de M de Nemours, distant environ de mille pas du retranchement que le roi voulait défendre. Il sortit quatre-vingts salades (2) commandées par le Sr d'Arambures, lieutenant de la compagnie de S.M., sur lesdits cinq cents chevaux reîtres lorrains qui par eux furent repoussés prés de leur gros, d'où en étaient repartis d'autres cinq cents pour les soutenir.
Le roi fit avancer quarante des siens conduits par le
Sr de Montatère, lesquels joints aux premiers quatre-vingts firent tourner le dos à mille des ennemis à la faveur de la troupe qui tenoit ferme derrière eux. "
(1) Sur les manuscrits originaux, par le comte de Valori, P. 54
(2) C'est-à-dire hommes d'armes accompagnés de chacun de ? archers et autres pouvant faire deux cent cinquante combattants..
Enfin voici d'après Dupleix, écrivain médiocre, mais contemporain, le récit d'un de ses principaux épisodes de cette journée décisive dont le résultat inespéré eut une si grande influence sur la destinée du nouveau roi.
" D'autre part le roy, comme un vigilant capitaine, avoit l'oeil partout et faisoit si bon devoir de soldat et de général d'armée que tous les efforts des rebelles demeuroient inutiles
" Aient choisi trois compagnies d'hommes d'armes des ordonnances, avec trois de chevaux légers, leur commanda d'aller choquer les ennemis à la faveur de l'artillerie du chasteau laquelle foudroyoit avantageusement sur eux, aient ordonné aussi à la compagnie du prince de Condé, commandé par le sieur de Montataire, et celle du prince de Conty pour les soutenir avec quelque compagnies de gens de pied françois et suisses.
" Les six compagnies, formant donc un gros escadron sous la conduite du comte d'Auvergne, donnèrent fortement dans les ligueurs et, perçant ou renversant tout ce qu'elle rencontrèrent, pénétrèrent jusque à la cornette blanche du duc de Mayenne " (1).
(1) La cornette blanche était alors l'enseigne du commandant. Mayenne avait sa cornette blanche, comme Henri avait la sienne.
Cette chaude affaire fut le glorieux dénouement de quinze jours de combats incessants. Car Arques ne fut pas une bataille, mais une véritable campagne que le valeureux capitaine, qui était roi que depuis un mois à peine, avait préparée par de sérieux et laborieux travaux de retranchements.
C'est d'Arques que, le lendemain de son arrivée, le 9 septembre, il écrivait à la belle Corisande, comtesse de Gramont (ou plutôt de Guiche) (1) :
" Mon cœur c'est merveille de quoi je vis au travail que j'ai ; Dieu ait pitié de moi et me fasse miséricorde, bénissant mes labeurs !…. J'ai pris hier Eu. Les ennemis qui sont fort au double de moi (2) à cette heure m'y pensoient attraper…, je me suis rapproché de Dieppe et les attends à un camp que je fortifie ; ce sera demain que je les verrai…. Ce 9 septembre dans la tranchée à Arques "
(1) Diane d'Andoins, fille de Paul d'Andoins, vicomte de Louvigny, veuve, en 1580, de Phillibert de Gramont, comte de Guiche. Elle était née vers 1554 et mourut seulement en 1620. Elle avait un grand caractère et était d'une incomparable beauté. Trois ans auparavant, en 1586, Henri de Navarre voulait absolument l'épouser et n'en avait été empêché que par les remontrances de d'Aubigné.
(2) Les troupes de Mayenne étaient trois fois plus nombreuses que les siennes. Il n'avait en tout que 5 à 6 000 hommes et 1000 chevaux.
Montatère (Jean de Madaillan) avait été, au sortir de l'enfance, lors de son entrée dans la carrière militaire, présenté au roi de Navarre ainsi qu'au prince de Condé par l'amiral de Coligny qui les avait eus tous les deux sous ses ordres et qui était oncle du dernier.
Ces deux princes eux-mêmes avaient été compagnons de jeunesse. On les avait mariés presque en même temps l'un, Henri de Navarre, bien malgré lui, avec Marguerite de Valois, l'autre, Henri 1
er, prince de Condé, avec Marie de Clèves. Ensemble ils s'étaient trouvés à la Saint-Barthélemy où ils avaient failli être tués. Le jeune prince de Condé avait gardé une attitude très ferme devant le roi Charles IX qui, plus que surexcité et tout en colère, lui dit :
" Enragé séditieux, rebelle, fils de rebelle, si dans trois jours vous ne changez de langage je vous fais étrangler "(1)
(1) Duc d'Aumale, Hist. des Princes de Condé, II, 161.
Plus tard, on lui avait donné comme étant prince de sang, une compagnie d'ordonnance dont il avait confié la direction à Jean de Madaillan (1).
(1) Une compagnie d'ordonnance comprenait alors vingt-cinq à cent lances, c'est-à-dire soixante-quinze à trois cents combattants, une lance se composant d'un homme d'armes et de deux archers, sans compter les pages, couteliers, valets et autres non combattants. La charge de capitaine était donnée à des princes et personnages haut placés. La direction était laissée au lieutenant qui était toujours un homme de guerre éprouvé. (Duc d'Aumale, I, P. 36 et 374.)
Le marquis de Lassay cite, en ses Mémoires, deux lettres du prince de Condé à M de Montataire, l'une du 24 mai 1582, qui lui fut portée par le sieur de Courcelles, chambellan du prince, dans laquelle, lui confiant ses intentions, il l'assure qu'il le considère comme un de ses meilleurs amis duquel il fait très sûr état.
L'autre, du 5 juin de la même année, qu'il signe " votre affectionné et meilleur ami,
Henry de Bourbon. "
Henri de Bourbon, prince de Condé rencontra en 1585, Charlotte de la Trémoille qui se dévoua à ses intérêts. Il était veuf. il l'épousa, le 16 mars 1586. Deux ans après (mars1588) il mourut tout à coup d'un mal subit et violent. Henri IV le regretta vivement. Voici ce qu'il écrivait alors à la belle Corisande : " … il m'est arrivé un des plus extrêmes malheur que je pouvais craindre, qui est la mort subite de M le prince… je me vois en chemin d'avoir bien de la peine : priez Dieu hardiment pour moi. Mars 1588. " Henri de Bourbon ne fut heureux ni dans vie privée, ni dans sa vie publique. Il était un peu sourd et timide, mais en même temps décidé, brave, opiniâtre et avait un cœur royal. Il fut l'aïeul du grand Condé et était fils de Louis de Bourbon, qui fut, comme l'on sait le premier prince de Condé (1)
(1) Il résulte des notes si intéressantes de M. le duc d'Aumale, que, dans son contrat de mariage avec Eléonore de Roye (juin 1551), ce prince est encore appelé simplement Louis de Bourbon et que rien n'indique exactement ni d'où lui vint ni à quelle époque il prit le titre qu'il a laissé à son illustre race (Hist. des Princes de Condé, I, p. 337). Le premier acte où il en soit fait mention est du 15 janvier 1557. Les Bourbons-Vendôme possédaient deux seigneuries de Condé, celle de Condé-sur-l'Escaut et celle de Condé-en-Brie de l'une desquelles vraisemblablement ils ont pris le titre distinctif de princes de Condé. Ce n'a jamais été leur nom patronymique. Ce n'a été pour cette auguste branche de la maison de Bourbon, comme le dit si bien l'éminent et consciencieux écrivain de son histoire, " qu'un titre " qu'elle a porté d'une manière brillante.
Si brillante, qu'ébloui par cet éclat, le gros du public ne comprendra jamais qu'avant les Bourbon-Condé, aucune autre famille n'ait pu modestement, mais le plus légitimement du monde, posséder le même nom comme nom patronymique.
Jean de Montataire se trouva aussi à la bataille d'Ivry, le 14 mars 1590. Voici toujours suivant Dupleix que, malgré tous ses défauts (1), j'aime à citer comme étant un auteur contemporain, ce qui amena le mot de Henri IV sur mon panache blanc :
(1) Il faut se défier de Dupleix en ce qu'il dit, plus tard, du cardinal de Richelieu et du commencement du règne de Louis XIII, parce qu'alors il n'était pas désintéressé.
" La cavalerie légère du roy, qui avoit fait une puissante impression dans les ennemis, se trouvant enveloppée de la multitude, estoit malmenée. Mais le maréchal de Biron accourant à son secours avec la troupe de réserve, la dégagea et rassura ceux qui résistoient encore.
Le conte d'Auvergne, la Trimouille et Guiny secoururent ensuite le maréchal d'Aumont accablé aussi de la multitude des ennemis, et tous ensemble se rangèrent auprès du roy, lequel, faisant tout devoir de soldat et de capitaine, encouragea si bien les siens par son exemple qu'en fin la victoire pencha de son coté, la cavalerie des ennemis cédant partout à la sienne.
" Henri Pot, sieur de Rhodes, maistre des cérémonies de France, qui portoit la cornète blanche du roy, aïant été tué au plus fort de la meslée, sa majesté dit
gaillardement que son pennache serviroit aux siens des cornète. "
C'est assurément moins solennel que le petit discours arrangé par quelque historiens et soi-disant prononcé avant l'action devant le front des troupes ; comme si un vrai général s'amusait à faire des harangues à son armé rangée en bataille et comme si, matériellement même celle-ci pouvait l'entendre.
L'école historique du siècle dernier se préoccupait plus de la mise en scène et de l'effet littéraire que de la réalité. Pour nous, en histoire la vérité vraie nous semble toujours préférable. Le mot d'Henri IV tel qu'il a été prononcé est tout à fait dans la situation. C'est celui d'un homme sûr de lui. Il est sans prétention, mais très caractéristique et très chevaleresque. Ici comme toujours plus que c'est simple , plus c'est beau.
Outre la part qu'il prit à ces différentes campagnes, le seigneur de Montataire, en cette même année 1590, aida les troupes du roi chasser de devant le château de la ville de Mayenne, Lansac qui en faisait le siège (1)
(1) Mémoires de Palma Cayet, t. III, p. 65.
Auprès d'Alençon, conjointement avec le sieur de Hertré, il battit une petite armée de la ligue commandée par les seigneur du Belloy (1)
(1) Mémoires du marquis de Lassay.
Ensuite il soumit au roi tout le pays environnant et reprit le château de Lassay, place alors de quelque importance et beau domaine seigneurial qui appartenait, à cette époque, à Judith de Chauvigny, veuve du seigneur Hurault de Villeluisant.
Quelles furent les circonstance privées, romanesque peut-être, qui accompagnèrent ce dernier fait d'armes ? nous n'en savons rien ; la chronique n'en est point venue jusqu'à nous.
Toujours est-il qu'un bel et bon contrat de mariage, passé devant maître Chesneau, notaire en la cour royale du Mans, relate que le 3
e du mois de novembre de l'an 1590, " haut et puissant seigneur Jean de Madaillan, chevalier, seigneur de Montathère, capitaine de cent hommes d'armes sous la charge de monseigneur le prince de Condé, gouverneur pour le roi de la ville de Thouars, et pair de Touraine, demeurant ordinairement en son château de Montathère, bailliage de Senlis, fils aîné de haut et puissant seigneur Louis de Madaillan, chevalier colonel des compagnies françoises de Languedoc et de dame Marguerite de Fay, sa veuve, dame châtelaine de Pont-Sainte-Maxence
" A épousé dame Judith de Chauvigny, dame de Boistront et de la Drouardiére, veuve de haut et puissant seigneur Louis Hurault, seigneur de Villeluisant, mestre de camp, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, demeurant au château de Lassay. "
Par ce mariage le château de Lassay passe aux Madaillan qui le possédèrent pendant plusieurs générations ; quelques-uns d'entre eux même en portèrent le nom comme on le verra ci-après.
Henri IV était connaisseur en homme, grand appréciateur des caractères dévoués et il savait se montre affectueux et reconnaissant. Il signait les lettres qu'il adressait a monsieur de Montataire :
Vostre byen bon amy Henry, et il vint le visiter plusieurs fois en son château .
Il a énormément parcouru tous ce pays de Beauvaisis dans les premiers temps de son active et belliqueuse royauté.
Dès 1589, il passait à Creil et à Clermont. C'est en cette année que, laissant son armée à Clermont, il s'en alla avec fort peu de suite, à Merlou (Mello), visiter madame de Montmorency, laquelle était venue en France pour conclure le mariage de sa fille avec le conte d'Auvergne (1)
(1) Mémoires du duc d'Angoulême, t. I, p. 39.
En 1590, il fut plus d'une fois à Senlis, où se trouvait alors la jeune abbesse de Montmartre, Marie de Beauvillers.
Ce fut un soir de cette même année qu'il arriva en la ville de Gisors, " monté sur un cheval grison, sur lequel costumièrement il estoit, ayant a son chapeau de peluche noire un grand plumache blanc (1) ".
(1) Journal d'un bourgeois de Gisors, p. 41.
Au commencement de juin 1592, il se trouvait de nouveau à Clermont, à la tête de six mille hommes, et ses avant-postes occupaient tout le pays environnant.
Le 13 janvier 1594, il était à Creil ; le 8 octobre 1596 à Beauvais, marchant vers Cambrai.
L'année suivante, il revint en Picardie pour reprendre Amiens dont les Espagnols s'étaient emparés. C'est alors qu'il dit : " c'est assez faire le roi de France, il faut à cette heure recommencer un peu à faire le roi de Navarre. "
En 1598, il visita de nouveau Montataire et Mello.
A partir de l'année 1600, il vint plusieurs fois à Verneuil, et, du 5 au 15 mars 1607 séjourna à Chantilly
Au château de Montataire, on a conserve pieusement la pièce où il logeait et qui a gardé depuis cette époque, dans les inventaires, le nom de
chambre du roi.
Jean de Madaillan avait fait décorer la cheminée de cette chambre de trophées exécutée peut-être un peu naïvement par des artistes du pays, mais où l'intention n'est pas douteuse.
On y remarque une casque au
panache blanc montant une vieille petite glace de Venise, de telle sorte que le grand roi ne pouvait pas y mirer son mâle visage sans le voir accompagné de ce souvenir de la bataille d'Ivry.
Le tout est bien conservé. La pièce, soigneusement entretenue dans un style de l'époque, contient une intéressante galerie de portraits du temps, en pied et de grandeur naturelle, parmi lesquels celui du
feu roy (Henri III), celui de sa femme, Louise de Vaudemont, celui très curieux, de Marguerite de Valois et celui de Henri IV qui est des plus attachants.
J'ai vu plus d'un visiteur, entré insoucieux dans cette chambre, s'arrêter devant le portrait du bon roi et rester pensif en face de cette grande et noble figure où se reflète si bien ce mélange de gaieté gasconne, de finesse, de bonhomie et d'irrésistible aménité qui le caractérisait et où l'on peut retrouver en même temps la trace de tant de chagrins et de soucis. Les traits n'indiquent pas la vieillesse et cependant les cheveux et la barbe sont gris. On dit que cette barbe commença à blanchir en quelques heures, à la suite de la lecture de l'édit de Nemours (juillet 1585) qui donnait aux calvinistes six mois pour se convertir. Henri IV lui-même l'a raconté depuis à l'historien Mathieu et à M de la Force qui le constate dans ses mémoires.
Il eut, à coup sûr, de grandes faiblesse mais jamais il ne perdit de vue sa haute mission providentielle. Ce fut l'homme de plus actif et le mieux servi de son temps et, comme on l'a dit mille fois, le plus français des rois de France. Au bout de vingt ans d'efforts, il laissa tranquille et prospère le pays qu'il avait pris dans un si déplorable état.
L'une des lettres seulement écrites par Henri IV à Jean de Madaillan figure, au Recueil de documents sur l'histoire de France de Berger de Xivrey. Elle est datée de Bressuire, le30 mars 1589, et adressée à monsieur de Montatère ( alors gouverneur de la ville de Thouars que l'on avait accordé aux Huguenots, comme place de sûreté). C'est une simple missive d'affaires d'administration, mais elle se termine par les mots,
votre byen bon amy Henry, écrits de la main du roi elle est conservée au Chartrier de Thouars et a été communiquée par M le duc de la Trémoille (1).
(1) Documents sur l'histoire de France. Recueil de lettres missives de Henri IV, t. VIII, p. 345. – On conserve aux archives de Montataire des lettres-patentes de don en faveur de Jean de Madaillan, dont l'une, du 12 février 1592, est également signée de la main du roi Henri IV.
Les autres étaient, au XVII
e siècle, en la possession du petit-fils de Jean de Madaillan et sont citées par lui avec quelques détails, de la manière qui suit, dans ses Mémoires intitulés :
Recueil de différentes choses. Le 4 septembre 1592, le roi écrit, du camps devant Provins, à M. de Montatère " pour lui marquer le contentement qu'il a reçu d'apprendre de ses cousins, les princes de Conty et le maréchal d'Aumont, le devoir qu'il a fait près d'eux pendant le siège de Mayenne, et qu'il désire que la compagnie du prince de Condé se rende encore près d'eux pour la réduction des places occupées par ses ennemis dans ses provinces d'Anjou et du Maine. "
Le 25 juillet 1593, lettre à M. de Montatère " pour lui donner avis de la résolution qu'il a prise de faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine, pour son salut, l'imitation des rois ses prédécesseurs et ôter tout prétexte de division qui ruine l'Etat (1).
(1) Cette lettre est datée du jour de son abjuration. Il est probable qu'il en envoya un certain nombre à cette date. " Il abjura, dit M. le duc d'Aumale (II, 218), le 25 juillet 1593, entre les mains de l'archevêque de Bourges, après des discussions très sérieuses et beaucoup plus approfondies que ne ferait croire une plaisanterie devenue proverbiale : " Paris vaut bien une messe. "
" Le 25 février 1594, le roi écrit à M. de Montatère d'amener près de sa personne, en son armée (il était alors à Mantes), la compagnie de cent hommes d'armes de ses ordonnances qu'il commande pour le prince de Condé et de la tenir prête à mettre le pied à l'étrier. "
Bien peu de temps après, le 22 mars, il faisait son entrée à Paris. Montatère fut-il de la partie ? Il avait été à la peine, il était juste qu'il fut à l'honneur.
Quelque séduisant que soit le charme qui s'attache à l'idéal, quelque soit le prestige qui parvient si facilement à substituer la légende à la réalité, le roman à l'histoire, il y a quelque chose, nous croyons l'avoir dit plus haut, qui nous paraît plus séduisant encore, c'est la vérité, la vérité absolue, la vérité toute entière.
Certes on éprouve de douces sensations à contempler au Louvre le magnifique tableau de l'entrée de Henri IV, par Gérard. Mais était-ce bien aussi poétique que cela ? Il y a tant d'ombres dans le présent ; n'y en aurait-il donc eu aucune dans le passé ? – Il y en avait, sachons l'avouer pour ne pas être trop sévères envers notre temps, pour ne pas mourir de tristesse de ne pas avoir vécu plus tôt.
La vérité est que l'entrée de Henri IV, quique réussie en définitive, ne fut pas en tous points aussi radieuse que l'ont faite la peinture et la poésie.
D'abord Brissac n'avait livré la ville qu'à prix d'argent. Le pauvre roi fut obligé ainsi de racheter pièce à pièce plusieurs parties de son royaume qu'on lui faisait payer fort cher. C'était ce qu'il appelait spirituellement : Vendre à César ce qui appartient à César(1).
(1) Quelques auteurs prêtent ce mot à Leuillier, prévôt des marchands. Sully et l'Etoile l'attribuent à Henri IV lui-même : " Ventre-Saint-Gris ! répondit le roi, on ne m'a pas fait comme à César, car on ne me l'a pas rendu à moy, on me l'a bien vendu. " Cela dit-il, en présence de M. de Brissac, prévôt des marchands et autres… (Journal de l'Etoile, II, p. 10.)
Le roi entra, presque de nuit, à quatre ou cinq heures du matin (22 mars), par un temps noir et pluvieux.. L'occupation de la ville se fit sans bruit. Les bons bourgeois, en s'éveillant, apprirent la chose. Ils commencèrent par se tenir cois en leur logis, puis ils se hasardèrent dehors et voyant que la troupe ne leur faisait pas de mal, s'enhardirent et se montrèrent, au fond, plutôt satisfaits. Les soldats fraternisaient avec la foule.
On avait eu soin de retenir la garnison de la ville dans ses quartiers pour éviter les conflits avec les troupes du roi.
" Seulement, trois cents(1) lansquenets (espagnols) s'estant desbandés pour faire une patrouille se rencontrèrent, pour leur malheur prez de la porte neufve à la même heure que le roi y entra et ayant voulu essayer résistance, furent taillés en pièce par Saint-Luc qui marchait à la tête des troupes.
(1) D'autres disent trente seulement
" Après cela, rien ne bougeant, le roy, s'avançant dans la ville le long du quay du Louvre, dit qu'il vouloit aller tout droit à l'église Notre-Dame pour rendre grâce à Dieu de la réduction de la ville ; et, se mettant au milieu de quinze cens gentilshommes, commanda à Bellegarde de marcher à la tête. Il faisoit très beau voir S. M. seule à cheval, sur un petit bidet, armée de sa cuirasse, un cabasset emplumé de blanc sur la teste, l'écharpe sur la cuirasse ; toute cette noblesse à pied, armée à cru et bottée, avec des piques traînantes ou des hallebardes sur les épaules quatre à quatre, Bellegarde seul devant. " (1)
(1) Dupleix, p. 537.
Vers le pont Notre-Dame, on commença à crier : Vive le Roi, dans la cour du palais et par tous les carrefours de la ville. S. M. alla descendre droit à Notre-Dame accompagnée de sa compagnie de chevau-légers que menoit M. le Grand (Bellegarde) ; et, après qu'elle eut ouï la messe et fait chanter le
Te Deum, elle vint dîner au Louvre…L'après-dîner, S. M. alla à la porte Saint-Denis pour voir mettre dehors les Espagnols, Wallons et Napolitains…lesquels sortirent la mèche éteinte et sans bagages" "(1).
(1) Journal militaire de Henri IV, p. 175.
A cette reddition de la capitale, si longtemps rebelle, à cette victoire due à l'habileté, à la modération, à la renommée croissante de Henri IV, il n'aurait pas été satisfait s'il n'en avait pas ajouté une autre regardée comme bien plus impossible.
Dans Paris s'était tenue obstinément la plus signalée, la plus irréconciliable de ses ennemis, sa cousine de Montpensier, Catherine de Lorraine(1), propre sœur du duc de Guise, assassiné par ordre de Henri III, l'âme de la ligue, si furieuse quand elle apprit l'entrée de Henri IV à Paris, qu'elle se voulait percer le cœur d'un poignard.
(1) Catherine-Marie de Lorraine, née en 1552, mort en 1596, mariée en 1570 à Louis de Bourbon, duc de Montpensier. C'est elle qui, d'après l'Estoile, portait à la ceinture les ciseaux qui devaient donner la troisième couronne à Henri III (manet ultima claustro), et qui organisa la journée des Barricades à la suite de laquelle ce triste roi dut précipitamment quitter Paris, dans lequel il ne rentra plus.
Elle habitait non loin du Louvre. Il imagina d'aller la visiter. Tallemant des Réaux dit que ce fut le soir même de son entrée à Paris. Grand ahurissement de la princesse. " Il s'assied et cause gaiement, comme s'il ne remarquait pas le trouble où elle est ; puis il fait semblant d'être pris d'une faim subite et demande à manger. On lui sert des confitures d'abricots. La duchesse, pensant que son cousin se doit défier d'elle, lui propose de goûter les confitures ; - c'est là que Henri l'attendait, car l'étiquette veut que tous les mets auxquels touche le roi, soient essayés, de peur du poison : " Fi ! ma cousine, dit-il, de tels soupçons entre vous et moi ! " Et il entame le pot de confiture, dont il avale plusieurs cuillerées.
" Ah ! sire, s'écrie la duchesse, je vois bien qu'il faut être votre servante ! " Et depuis ce jour, elle devint réellement son amie dévouée. La politique et l'habileté ne suffisent pas à inspirer ces procédés irrésistibles ; il faut aussi que le cœur les conseille "(1).
(1) Paul de Musset, galerie des bonnes Gens.
" Deux jours après, le 24 mars, raconte Pierre de l'Estoile, le roi vint voir madame de Nemours avec laquelle madame de Montpensier se trouvoit. Il leur demanda, entre autres propos, si elles étoient bien estonnées de le voir à Paris et encore plus de ce qu'on n'y avoit volé ni pillé personne…Et se tournant vers madame de Montpensier, lui dit : "Que dites-vous de cela, ma cousine ? – Sire, lui répondit-elle, nous n'en pouvons dire autre chose que vous estes un très grand roy, très bening, très clément et très généreux. " Le roi en souriant lui demanda si elle ne vouloit pas faire sa paix avec Brissac qui avoit ouvert à Henri IV les portes de Paris. " Sire, dit-elle, elle est toute faite, puisqu'il vous plaist. Une chose, eussé-je seulement désirée en la réduction de la ville de Paris, c'est que M. de Maienne, mon frère, vous eust abaissé le pont pour y entrer. – Ventre-Saint-Gris ! respondit le roi, il m'eust fait peut-être attendre longtemps ; je n'y fusse pas arrivé si matin. "
L'année suivante, Montataire se retrouve près du roi dans la campagne de Dijon et en ce fameux combat de Fontaine-Française (5 juin 1595) où, sous les yeux du connétable de Castille et des Espagnols, Henri IV, à la tête d'une poignée de gentilshommes, culbuta Mayenne et son armée.
" ...Le roy ne pouvant encore rien apprendre du dessein de l'Espagnol, choisit mille bons chevaux et cinq cens carabins, la fleur de son armée, pour aller voir sa contenance (de l'ennemi).
" En cette troupe paroissoient entre autres le comte d'Auvergne, le maréchal de Biron, la Trimouille duc de Thouars, le comte de Gramont, les marquis et seigneurs de Pisany, de Mirepoix, de Mirebeau, de Trenel de la maison des Ursins, de Roquelaure, d'Escars, Thermes, Montigny, Montespan, Rissé, Liencour, Vitry, Juteville, la Curée, Châteauvieux, Langeac, Aussonville, le comte de Chiverny, fils du chancelier, le chevalier de Vilars, frère de l'admiral, et
Montataire. Les ducs de Guise et d'Elboeuf vindrent aussi joindre Sa Majesté, qui les receut favorablement et leur sceut très bon gré de ce service " (1).
(1) Dupleix, Hist. de Henri IV, édition in-folio, p. 169.
L'ennemi était plus nombreux et plus près qu'on ne le pensait et que ne l'avaient fait supposer les rapports des éclaireurs. Suivi des cens vingt gentilshommes de sa cornette blanche et plus particulièrement entouré de soixante cavaliers, Henri courut lui-même les plus grands risques… Il se trouva engagé dans une de ces mêlées furieuses où la vie est abandonnée à tous les hasards du corps à corps et où un roi n'est qu'un homme.
" Mais cet homme était un héros et ne comptait pas avec la mort. Heureusement que quelques dévoués y pensaient pour lui. L'un des gentilshommes qui s'étaient donné la mission de veiller sur Henri, abattit d'un coup de pistolet un ennemi qui s'apprêtait à le frapper : un autre, M. de Montataire, reçut, à ses côtés, une blessure qui lui était destinée " (1).
Le même fait est rapporté de la manière suivante dans le Journal militaire de Henri IV (2)
(1) Henri IV, par M. de Lescure§. Edit. gr. In-8°, P. 461 et édit. In-12, p. 233.
(2) D'après les manuscrits originaux par le comte de Valori, p. 89.
" Cependant le roi qui avoit fait diligence de venir étoit déjà fort avant dans la plaine de Fontaine-Françoise et avoit passé le pont avec cent ou six vingts seigneurs ou gentilshommes de la cornette blanche. Voyant ce désordre, il n'eut loisir que de prendre sa cuirasse et un petit morion à la turque qu'il portoit ordinairement et vint pour secourir M. le maréchal (de Biron) qui avoit à sa queue seize ou dix-sept cents chevaux ennemis par troupes séparées…..et dit : " A moi ! à moi " M. le maréchal étant fort pressé, fut blessé d'un coup d'épée sur la tête par l'un des cinquante qui s'étoient avancés et l'avoient reconnu…. En même temps ils abordèrent le roi…où fut blessé M. de Montatère auprès de lui. M. le maréchal, tout blessé qu'il étoit, chargeoit à la main droite. La Curée avec les sieurs de Mirepoix, de Termes, Matelet, le Vieil, la Bastide, Maintenon, Liverdy et Chavigny, avoient chargé devant le roi à main gauche. "
On conserve dans les archives du château de Montataire une vieille gravure faite l'année même où eu lieu cette furieuse bataille. Elle porte la date de 1595.
On y voit Henri de Navarre à cheval, l'épée à la main, chargeant de sa personne, entouré et suivi du petit escadron dans lequel les yeux cherchent le seigneur de Montataire et le retrouvent vraisemblablement en un chevalier qui tombe blessé à la gauche de roi. Tous ensemble, le roi et ses compagnons, mettent en déroute la cavalerie de Mayenne.
Sur la droite, le maréchal de Biron (1) charge, également au galop, un gros de cavaliers ennemis.
(1) Afin que l'on ne s'y méprenne pas, l'artiste a gravé son nom tout contre lui, et de même pour le roi.
Cette mêlée est rendue avec beaucoup de fougue et d'entrain. On se bat à l'arme blanche, à la lance, à l'épée. Seuls quelques reîtres, à la suite de Biron, bien qu'à cheval et au galop comme tous les autres, se servent de la carabine et font feu sur les fuyards qui laissent leurs morts sur le champ de bataille.
Après ce chaud combat, " le roi s'en alla fort content et tout victorieux à Dijon, non pas sans se souvenir qu'il n'avoit jamais couru si grande fortune qu'en ce jour-là " (1). Dans les autres occasions, il avait combattu pour la victoire, en celle-ci pour la vie.
(1) Journal militaire de Henri IV.
Le lendemain, il écrivait à sa sœur, madame Catherine… : " Vous ai veue bien près d'estre mon héritière " (1) ! Et quelques jours après le 13 juin, à M. de Harambure : "Harambure, pendés-vous de ne vous estre point trouvé près de moy en un combat que nous avons eu contre les ennemys, où nous avons fait rage… " (2)
(1) Recueil des lettres missives de Henri IV, t. IV, p. 36…
(2) Ibid., p. 375
Cette lettre a précédé de deux ans le fameux billet à Crillon arrangé par Voltaire : " Pends-toi, brave Crillon, etc., " qui ne fut pas du tout écrit après le combat d'Arques, comme le dit l'auteur de la
Henriade, mais seulement sept ans plus tard, le 20 septembre 1597 à la suite de l'affaire décisive qui entraîna la capitulation d'Amiens et qui est ainsi conçu : " Brave Crillon, pendés-vous de n'avoir esté près de moy lundy dernier à la plus belle occasion qui se soit jamais veue et qui peut-estre se verra jamais. Croyés que je vous ay bien désiré…etc. Ce XX septembre (15597), au Camp devant Amiens " (1).
(1) Archives de Crillon. Original autographe.
Quelques mois après la bataille de Fontaine-Française, le 16 novembre 1595, le roi écrivait de la Fère, à M. de Montataire, de venir le rejoindre avec sa compagnie aussitôt qu'il aura conduit le prince de Condé à Saint-Germain-en-Laye, et
plus tôt, si c'est possible (1).
(1) Mémoires du marquis de Lassay.
Le prince de Condé, que M . de Montataire était chargé de conduire à Saint-Germain, était le jeune Henri II, fils de Henri I
er de Bourbon, prince de Condé, et de Catherine-Charlotte de la Trémoille, dont il a été question précédemment.
Le jeune prince n'avait alors que sept ans. Il s'agissait de le retirer, ainsi que sa mère, de la ville de Saint-Jean-d'Angély où il était tout entouré des réformés qui le regardaient comme leur futut chef, et de l'amener à Saint-Germain, près du roi, qui, n'ayant pas alors d'enfants légitimes, avait jeté les yeux sur lui pour en faire son héritier présomptif.
En écrivant à M. de Montataire, le roi lui avait laissé le choix de remplir cette mission ou de venir le rejoindre tout de suite s'il le pouvait. Montataire préféra ce dernier parti et la conduite du jeune prince fut confiée au marquis de Pisani. Celui-ci rendit compte au roi de sa mission en un rapport très détaillé, cité in extenso par M. le duc d'Aumale (1).
(1) T. II, p. 432.
C'est ce même Henri II, prince de Condé qui, quatorze ans plus tard, arrivé à l'âge de vingt et un ans, épousa Charlotte de Montmorency, cette idéale beauté dont le roi Henri IV devint si follement amoureux, que son mari fut obligé de l'enlever pour la soustraire à une trop vive admiration.
Le marquis de Lassay, dans ses Mémoires, cite encore deux lettres écrites par le roi à M. de Montataire. Dans l'une, datée du 18 août 1597, il l'invite à venir le rejoindre avec sa compagnie au camp devant Amiens. Dans l'autre, datée du 20 mars 1599, il lui annonce qu'il l'a choisi, ainsi que le sieur du Ris, conseiller d'Etat, pour commissaire de l'exécution de son édit de pacification dans les provinces du Poitou, Angoulême et La Marche.
Jean de Madaillan était resté protestant et n'avait pas suivi, dans son retour à l'Eglise catholique, le prince auquel il était si dévoué. Lors de la promotion de chevaliers du Saint-Esprit, qui eut lieu en 1598, le roi lui dit, à Montataire même, qu'il eut fait chevalier des ses ordres sans cet empêchement (1).
(1) Mémoires de Lassay
En 1610, année fatale de la mort de Henri IV, le prince de Condé, dont la position était devenue très délicate et qui avait beaucoup de confiance en la loyauté et l'expérience de M. de Montataire, en fit son confident et se mit par lui en rapport avec Sully (1).
(1) Mémoires de Sully, VIII, 82.
En 1614, le roi Louis XIII, alors tout jeune, de l'avis de madame sa mère et en mémoire des services exceptionnels rendus à son père, le gratifia d'une pension de huit mille livres, ce qui représentait alors une somme fort honorable.
Mais Jean de Madaillan n'allait plus à la cour. Il s'était retiré à Montataire et n'en bougeait plus.
Comme Sully, comme Bassompierre, comme tous ces vieux types d'un autre règne, restés habillés de cuir et de fer quand on ne se vêtissait plus que de soie et de velours, loin d'oublier son vieux roi assassiné, il se sentait pris pour lui d'une affection toujours croissante et finissait par devenir une sorte de culte...
Ce sentiment pieux, exclusif, passionné, partagé à cette époque par une partie de la noblesse française, était augmenté et par la mémoire des aventures de guerre, des dangers courus ensemble, et par le contraste absolu que présentait avec la cordialité pleine de rondeur de ce bon roi, le caractère de son fils, ce mélancolique jeune homme, à la figure impassible, à l'humeur défiante et aux manières glaciales.
Jean, comme beaucoup des serviteurs amis du feu roi, ne vivait plus que de souvenirs et n'aimait plus à s'entretenir que des choses du passé. Il aurait pu terminer chacun de ses récits par le refrain du capitaine Roland des Mousquetaires de la Reine :
...C'était du temps du roi Henri,
Messieurs, que se passait ceci.
Voici une des anecdotes qu'il se plaisait à raconter, histoire qui remontait au siège de la Fère, auquel il avait assisté, y ayant été convoqué par lettre spéciale du roi, citée plus haut (1).
(1) P. 315.(du livre)
Pendant la durée de ce siège, à la réussite duquel il attachait une grande importance, Henri IV visitait souvent les tranchées, quequefois même s'avançait un peu au dehors pour bien reconnaître les points faibles de la place. Un jour qu'il s'en était approché plus que de coutume, il entendit une voix qui, de derrière les remparts, prononçait distinctement des mots qui le frappèrent vivement, parce qu'ils étaient en patois béarnais :
Moulié de la Tour de Barbaste !...
La tour de Barbaste était un beau moulin fortifié, situé bien loin de là, dans le duché d'Albret, près de la ville de Nérac, moulin qu'il avait possédé dans sa première jeunesse et dont en ce temps-là le bon
reyot (le bon petit roi) comme l'appelaient familièrement les gascons, s'amusait à prendre le nom, s'intitulant volontiers
moulié (meunier) de la
tour de Barbaste, ce qui, bien entendu, le faisait adorer et des meuniers en particulier, et généralement de les habitants du pays.
En entendant prononcer ces mots derrière les murs de la ville assiégée, le roi releva vivement la tête. Il ne vit rien. Rien de suspect sur les remparts. Mais la voix, qui était probablement celle de quelque soldat navarrais engagé dans l'armée ennemie, continua de manière à être parfaitement entendue de lui.
Gara ! La Gatte va bagatoa ! En patois béarnais, gatte veut dire en même temps chatte et mine. Le roi comprit, à l'instant, qu'un grand danger le menaçait et s'empressa de regagner les tranchées. Bien lui en prit, car à peine avait-il faitcent pas qu'une explosion eut lieu à l'endroit même qu'il venait de quitter. C'était la
gatte qui bagatoait. Dans la prévision d'un assaut, les abords de la place était minée de plusieurs côtés. Une mine se trouvait sous le sol même qu'avait foulé le roi, et le commandant assiégé qui l'avait reconnu, avait immédiatement donné l'ordre de mettre le feu à cette mine. Sans l'avis anonyme donné si à propos, le
moulié de Barbaste courait fort le risque de ne jamais revoir son moulin ni aucun autre en ce monde, et la France aurait été privée de ces quatorze belles années du règne le plus paternel et le plus réparateur qui fut jamais.
Cette anecdote est parfaitement authentique. On la trouve mentionnée par quelques chroniqueurs, à la date du 17 janvier 1596, jour où eu également lieu une sortie dans laquelle furent blessés MM. Des Termes et de Puy…allon. Ce n'est pas sans raison que Henri IV attachait une grande importance à la prise de la Fère. Cette place, depuis plusieurs années, servait de refuge aux Espagnols qui en avaient fait un arsenal abondamment pourvu de munitions de guerre et d'artillerie, et qui par elle ravitaillaient sans cesse leurs armées. Le siège fut très long et très coûteux. Au bout de Quelques mois, le roi se trouvait absolument sans ressources. Le 15 avril, il écrivait confidentiellement à Sully :
" Mon amy… je vous veus bien dire l'estat où je me trouve réduict qui est tel que je suis fort proche de mes ennemys et n'ay quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre ni un harnois complet que je puisse endosser. Mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude, ma marmite est souvent renversée, et depuis deux jours je disne et soupe chez les uns et chez les autres : mes pourvoyeurs disent n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table, d'autant qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent… " (1)
(1) La lettre contenant ces détails était entièrement écrite de la main du roi, et il recommandait à Rosny de la brûler après l'avoir lue. Mais celui-ci ne détruisit que la première partie de la lettre, gardant la seconde dans laquelle se trouve le passage ci-dessus cité. Depuis, il refit, de mémoire, la première partie que l'on peut lire tout au long, suivie du passage ci-dessus cité, dans les Economies royales. On l'a …rée également dans le Recueil des missives, t. IV, p. 56...
Jean de Madaillan rappelait avec attendrissement cette époque où le roi ayant besoin du dévouement de tous était pour tous plus affable et plus bienveillant que jamais. Il ne pouvait oublier non plus qu'il avait eu l'honneur – l'insigne honneur _ pour lequel il avait sacrifié la moitié de sa vie, d'être de la Cornette blanche… de la Cornette Blanche, c'est-à-dire de cette petite troupe d'élite et de braves à toute épreuve qui entouraient immédiatement le roi et donnaient, avec lui, au plus fort de la mêlée, comme à Fontaine-Française !
Quand il s'agissait d'engager une action, le roi commençait par envoyer sur l'ennemi les lourds escadrons de la gendarmerie. Ceux-ci étaient entièrement recouverts de fer, non plus armés de lances comme auparavant, mais munis de bonnes escopettes. Ils montaient de forts et solides chevaux, marchaient de front, vingt par vingt, et quand passait au trot cette grosse et formidable cavalerie, la terre tremblait et on entendait au loin le bruit et cliquetis des armures. Ils s'en allaient essayer de défoncer par leur masse et leur force la ligne des ennemis.
Peu après, le roi envoyait à la rescousse les chevau-légers. Ceux-là portaient encore la cuirasse, mais sur le bas des jambes, au lieu de fer, seulement de grandes bottes molles pour être plus agiles et libres de leurs mouvements. Chaque compagnie de chevau-légers était accompagnée de cinquante carabins. Ils chargeaient par petites troupes entremêlées d'argoulets armés d'arquebuses qui, se relayant sans relâche, harcelaient, fatiguaient l'ennemi, le mettaient sur les dents.
Alors, comme on dit qu'il advient en Espagne quand le taureau affolé est parvenu au dernier degré de l'exaspération et qu'apparaît l'espada qui doit frapper le grand coup, alors arrivait la Cornette blanche, - le roi !
On marchait d'abord au petit pas, en silence, en se serrant les uns contre les autres, chacun assurant, d'une main ferme, sa bonne épée de combat, les yeux fixés sur le prince qui, la tête haute, regardait la bataille et jugeait, en capitaine consommé, le point où il fallait donner. Quand le moment était venu, il lançait gaiement quelque brocard et partait au trot. Bientôt après, tout le monde était au galop, on fondait en tourbillon sur l'ennemi, et rien ne pouvait résister à un élan pareil.
Voilà ce que Jean de Madaillan se plaisait à raconter dans ses vieux jours. Je n'ai pas la date exacte de sa mort, mais on lit celle de 1626 inscrite, à la main, sur les murs du caveau dans lequel il a été inhumé. Ce qui est certain, c'est qu'il ne vivait plus le 10 mars 1627, date de l'acte de partage fait ce jour-là par ses enfants.
Dans le précieux dossier qui le concerne, conservé aux archives du château de Montataire, se trouve la signature de ce vieux brave, plus habile à donner de grands coups d'épée qu'à se servir correctement de la plume. Nous en reproduisons ici le curieux fac-similé :