L'histoire de Montataire remonte jusqu'aux Romains. Ces maîtres du monde, qui baptisaient d'un nom latin tous les lieux dont ils s'emparaient, pour désigner ce promontoire situé au confluent de deux rivières, à l'endroit où le Thérain va se jeter dans l'Oise, l'appelèrent Mont-du-Thérain, Mons ad Taram ou Tharam ou Theram (1), dont on a fait au moyen âge Montathère, et, depuis, Montataire.
(1) Mons-ad-Theram : " In chartario Lehuensis S. Petri, legi litteras in quibus R. Decanus Montis-Tharencis memoratur. Alias item litteras Philippi episcopi Bellovacensis reperi, anno MCCXVII datas, in quibus Mons-ad-Tharam et Mons-Tharoe nuncupatur. Fluvius hic Tara, cujus nomen cum adspiratione soepè scriptum invenitur priscis in tabulis atque codicilliis inque annalibus bestinianis, Thara a nostris, Taire olim dicebatur, nunc Terin dicitur. Unde Castellum Mons-Tharencis, vel Mons-ad-Taram vulgo Mont-A-Taire hodieque appellatur. Positum est hoc Castellum in Bellovacis, ad Tarœ et Isarœ confluentes, non longè à Castro Credilio". (Adrien de Valois, Noticia Galliarum, p.253).
Le plateau qui s'étend sur le sommet de ce promontoire était vraisemblablement, à l'époque gauloise, un de ces lieux élevés où les peuplades, dont les huttes se trouvaient disséminées dans les bois et particulièrement le long des rivières, venaient chercher un refuge quand elles avaient à craindre quelque invasion des tribus voisines. C'était souvent aussi pour elles un lieu sacré où elles tenaient leurs réunions religieuses et enterraient leurs morts ; "les cimetières étaient les temples de ce peuple qui n'avait pas de temples" (1).
(1) Henri Martin
Les Romains, lorsqu'ils arrivèrent, ne manquèrent pas de s'emparer de ces positions importantes du haut desquelles ils dominaient la contrée qu'ils devaient occuper si longtemps. Autour d'eux vécurent, pendant plusieurs siècles, ces populations dites Gallo-Romaines qu'ils avaient asservies, désarmées et fini par s'assimiler.
Après eux, les Francs firent de même et les remplacèrent dans ces stations ou postes militaires, dont ils devaient faire plus tard des forteresses féodales.
Il y a quelques années, à la suite d'un hiver rigoureux et d'un fort dégel, un morceau de la côte à pic de Montataire qui regarde au sud-est la vallée de l'Oise, étant venu à s'écrouler, on vit apparaître, au ras de la paroi verticale mise à jour par cet éboulement, à trois mètres environ d'élévation au-dessus de l'entrée de la garenne dite la Caquetière, à un mètre au-dessous du niveau supérieur du sol, cinq sarcophages ou cercueils de pierre dont l'extrémité avait été emportée par l'éboulement et dont le surplus, enfoncé en terre, restait suspendu, offrant aux regards des passants cinq cavités mystérieuses.
On apporta des échelles, on fouilla ces vieilles tombes ; on trouva les débris de quelques squelettes jaunâtres presque entièrement consommés, qui tombèrent en poussière quand on les toucha.
On recueillit plusieurs fragments de poterie qui pouvaient un peu aider à assigner une date à ces sépultures.
Les sarcophages mis à jour si inopinément, et posés d'une manière si pittoresque, ont été respectés et laissés absolument dans l'état où le hasard les avait fait découvrir. Ils se trouvent placés assez haut pour que les mains vandales ne puissent aisément les atteindre, pas assez loin toutefois pour se soustraire à la curiosité de l'archéologue. Ils présentent une rangée de cercueils de pierre posés à plat sur le roc comme ils l'ont été dans l'origine, mais s'offrant en coupe verticale, ce que je n'ai pas rencontré ailleurs. C'était, du reste, pour Montataire, un document précieux pouvant servir d'indice à d'autres découvertes se rattachant aux premières pages de son histoire.
Informé qu'il existait d'autres tombes semblables, un peu plus loin, à un mètre sous terre, en un lieu connu aujourd'hui sous le nom de clos de la Cure qui était, au moyen âge, compris dans les enceintes du château, mais qui vraisemblablement avait dû être, aux premières époques historiques, un cimetière gallo-romain, je m' occupai d' y organiser des fouilles. Ces fouilles, commencées dès 1853, mais interrompues par un de ces deuils qui font que l'on ne s'intéresse plus à rien en ce monde, furent reprises le 29 septembre 1854.
Pour leur donner l'utilité et l'authenticité désirables, j'avais soin d'y convoquer toujours mon excellent voisin de Nogent-les-Vierges, M. Houbigant, archéologue et érudit bien connu dans le département, membre actif d'une quantité de sociétés savantes, notamment de la Société des Antiquaires de Picardie. Il m'avait été facile de reconnaître chez lui une consciencieuse et même scrupuleuse exactitude et une parfaite honnêteté archéologique. C'est lui qui présidait aux opérations.
Voici comment on procédait :
Dès le matin, on mettait à l'ouvrage une escouade d'ouvriers pour enlever la terre, mais seulement jusqu'au niveau des dalles de pierre qui recouvraient les tombes. Ces ouvriers opéraient sous la surveillance d'un garde piqueur, homme de toute confiance, qui avait mission de diriger le travail, d'empêcher que l'on ne brisât rien, ni que la curiosité des travailleurs ne devançât l'heure de l'ouverture des monuments, et qui était chargé, en même temps, de tenir note des incidents qui pourraient se produire.
Quand tout était déblayé, nous arrivions, avec quelques amis qui s'intéressaient à ces recherches, et l'on procédait, successivement et avec précaution, à la levée des dalles. On recueillait avec soin tout ce qui pouvait servir d'indication d'époque ou de race, puis l' on remettait le surplus, c'est-à-dire les débris d'ossements, en général décomposés ou devenus très friables, à la place où on les avait trouvés, et l'on rejetait sur les cercueils l' épaisse couche de terre qui les avait recouverts depuis tant de siècles et qui, suivant toute apparence, est destinée à les recouvrir jusqu'à la fin des âges. Cela se faisait d'une manière systématique ; mais, je dois le dire, respectueusement, presque religieusement. En remuant ces cendres, en réveillant ces morts endormis là depuis si longtemps, j'avais toujours à la pensée cette inscription d'une tombe du dixième siècle conservée au musée d'Amiens :
"Si corpus hoc invenitur, cum honore in Deo suscipiatur".
Ces fouilles, du reste, n'avaient qu'une importance toute relative. Elles n'ont point produit d'objets d'art ou de valeur et n'ont, sauf une exception sur laquelle nous allons revenir un peu plus loin, donné lieu à aucune remarque extraordinaire digne d'être communiquée au monde savant. Mais elles ont répondu à ce que l'on demandait d'elles en constatant, ce qui avait une grande importance locale, la présence en ces lieux d'une population gallo-romaine, puis de guerriers Francs qui avaient occupé la hauteur de Montataire et s'y étaient fait inhumer avant l'introduction du christianisme en ces contrées.
Pas une inscription, pas un de ces monogrammes ou de ces symboles mystiques par lesquels les premiers chrétiens aimaient à affirmer leur croyance, pas une croix. Si ce n'est peut-être une seule, placée d'une manière assez bizarre, et dont il sera spécialement parlé ci-après.
Dans les sarcophages postérieurs aux VII
e ou VIII
e siècle, on trouve souvent, à la hauteur de la tête, une sorte de petite cavité évidée en la pierre pour loger le dessous de ladite tête. Ici, rien de semblable. Les sarcophages paraissent très primitifs, pas tout à fait cependant, puisqu'ils sont plus larges à la tête qu'aux pieds. Les tout premiers sarcophages avaient la même largeur aux deux extrémités.
La date de ce cimetière et l'époque où vivaient Ceux qui y sont inhumés sembleraient donc pouvoir être circonscrites aux trois ou quatre siècles qui se sont écoulés depuis l'occupation romaine, c'est-à-dire le commencement de notre ère, jusqu'à l'établissement du christianisme en nos régions. Ces tombeaux peuvent être des III
e, IV
e et V
e siècles.
Autour des tombes de pierre, se trouvaient beaucoup de débris d'ossements épars en pleine terre, ayant probablement appartenu à des individus qui n'étaient pas assez riches pour se donner le luxe du sarcophage. - En ont-ils, pour cela, dormi beaucoup plus mal ?
Les sarcophages sont en pierre calcaire du pays, creusés en forme d'auges, plus larges, comme nous venons de le dire, dans la portion destinée à recevoir les épaules et le haut du corps, plus étroites du côté des pieds, ce que les géomètres appellent forme trapézoïdale. Ils peuvent avoir quarante à cinquante centimètres de profondeur. Ils sont, en général, d'un seul bloc, quelquefois cependant faits au moyen de deux pierres juxtaposées.
Ils étaient, le plus souvent, fermés par une longue dalle, portant à l'extérieur, dans le sens de la longueur, une sorte d'arête en dos d'âne, peut-être pour mieux préserver la tombe de la pression de la couche de terre qui la recouvrait. Dans plusieurs, ce couvercle était brisé et la tombe se trouvait remplie de terre, soit par infiltration naturelle, soit par la main des hommes.
Au fond de chacune avait été semée une légère couche de sable de rivière mêlé de quelques petits coquillages.
Tous les cercueils étaient placés parallèlement, par groupes représentant peut-être des familles, si rapprochés qu'ils se touchaient dans leur longueur, - séparés des autres groupes par des intervalles laissés sans sépulture.
On sait que, chez les Gaulois, l'esprit de famille était très développé. C' est d'eux, à coup sûr, que les Français, chez qui ne prédominent pas, en général, les sentiments de respectuosité et de vénération, tiennent ce culte pieux et sincère des morts, cette "fidélité aux trépassés" (1), qui les distingue encore aujourd'hui des autres nations.
(1) Henri Martin
La Commémoration des morts, cette fête touchante du 2 novembre, est un ancien usage gaulois conservé et consacré par le christianisme.
Tous ces tombeaux, suivant la coutume universelle venue de l'Orient depuis l'origine des âges, et conservée également par le christianisme, tous ces morts étaient tournés vers le levant, c'est-à-dire posés, la tête à I' ouest, les pieds à l'est, de manière à regarder du côté où le soleil se lève.
Point n'est besoin d'expliquer le sentiment qui a inspiré, dès le commencement des siècles, cette universelle coutume, non plus que celui qu'il l'a fait pieusement adopter par les enfants du Christ.
Mais il est curieux de noter en passant que, s'il faut en croire les expériences et les dernières déductions de la science moderne, l'homme, en son sommeil, afin de se trouver dans l'axe du grand courant magnétique qui parcourt notre planète, devrait toujours se placer la tête au nord, les pieds vers le midi (1).
(1) Voir notamment les curieux ouvrages du baron de Reichenbach et l'excellent résumé anglais du docteur Olynthus Grégory.
Parmi toutes ces tombes uniformément tournées vers l'Orient, une seule faisait exception à la règle, et, au rebours des autres, était placée la tête regardant l'ouest. Cette tombe, d'après les objets qu'elle contenait, était franque et avait appartenu à un homme de haute stature, peut-être à un fier guerrier qui, nouveau venu sur cette terre étrangère, aura voulu marquer par cette opposition à l'usage adopté, le dédain du vainqueur par la race vaincue.
J'ai fait conserver cette tombe ainsi, bien entendu, que les objets intéressants qu'elle renfermait et les ai placés au petit musée historique du château de Montataire.
J'y ai fait porter aussi un autre sarcophage qui se distinguait par des proportions allongées et étroites et qui était respectueusement isolé, à l'écart de toutes les autres. C'était vraisemblablement celui d'une femme assez grande. On y a trouvé, perdues dans la poussière blanchâtre, dernier résidu de ce qui avait peut-être été un corps beau, admiré, aimé, deux perles, seul et modeste vestige de la parure de cette Velléda.
J'ai fait placer également, en ce petit musée, un sarcophage entièrement romain, ayant son extrémité arrondie en plein cintre, tandis que tous les autres, sans exception, se terminent carrément.
Il en existe un semblable au musée de Beauvais (1). C'est le seul spécimen de ce genre trouvé dans nos fouilles. Ce tombeau renfermait un style en bronze qui sera décrit plus loin.
(1) Voir Catalogue du musée de Beauvais, n° 36, p. 20 : Sarcophage romain. "Le 11octobre 1839, on a trouvé, près Beauvais, à un mètre au-dessous du sol, un sarcophage (romain) terminé carrément à l'une de ses extrémités et disposé, à l'autre, en hémicycle. Près du squelette était une monnaie d' Hadrien". (Barraud, p. 15.)
La découverte de ce dernier sarcophage émut prodigieusement mon bon voisin Houbigant.
Il avait vécu dans l'idée absolue que les Romains brûlaient leurs morts et ne les enterraient jamais. Il ne pouvait du tout admettre qu'il en fût autrement et que l'un des leurs, contrairement aux usages reçus, eût dérogé à cette pratique et se fût fait enterrer comme un Gaulois.
Je fus obligé, pour le convaincre, de me livrer à des recherches profondes.
Les Romains, il est vrai, brûlaient leurs morts, et ils avaient même introduit cette habitude dans les pays occupés par eux, notamment dans les Gaules. Mais, comme cet usage y était d'importation étrangère, il n'y dura pas longtemps. Il cessa, si l'on en croit le savant Alexandre (
Alexandri ab Alexandro Genialium dierum. L. III, cap. 2), dès la fin du II
e et commencement du III
e siècle de notre ère.
Les Antonins même autorisèrent par un édit l'inhumation des morts, et, à la suite de cet édit, surtout après Marc-Aurèle qui rétablit l'inhumation telle qu'elle existait dans la Rome primitive, l'usage de l'enterrement des corps fut repris même par un certain nombre de Romains, dans les Gaules.
Quant aux premiers chrétiens, en pratiquant l'inhumation, ils n'ont fait que suivre la coutume juive dont ils ne se sont guère écartés. Je dis guère, car toutes ces lois générales sont sujettes à exception. Ainsi plusieurs tombeaux des martyrs trouvés dans les catacombes de Rome contiennent seulement l'urne cinéraire. Les corps avaient été brûlés, suivant l'usage romain.
Sommes-nous destinés, après une interruption de tant de siècles, à voir reprendre cette coutume ? On sait qu'il existe, en Italie, une société et toute une organisation pour favoriser et rendre moins difficile la pratique de l'incinération, et qu'il est de temps en temps question de suivre cet exemple en France.
Pour ce qui est des Francs, ils ne brûlaient pas les corps.
En s'installant dans ces contrées gallo-romaines, dont ils acceptaient la civilisation quand cela leur paraissait utile ou agréable, sans jamais se soumettre à ses lois quand elles les gênaient, ils trouvèrent commode de coucher paresseusement leurs morts dans les tombes préparées pour les vaincus, avec cette différence, toutefois, que les Gaulois y étaient déposés sans armes, ainsi qu'ils avaient sans doute vécu sur cette terre asservie par les Romains, tandis que les Francs, race essentiellement guerrière, descendaient dans la tombe tout armés, comme s'ils partaient pour la bataille.
Rien qu'à cet indice, il n'y a pas de confusion possible entre les tombes gallo-romaines et les tombes franques. A cela près, elles sont absolument les mêmes.
Dans quelques cercueils de pierre se trouvaient des débris de deux et même de trois squelettes, non inhumés en même temps, mais paraissant avoir été déposés successivement et même à longs intervalles. Ces tombes servaient-elles comme de caveaux de famille ? La femme y venait-elle rejoindre son mari et les enfants leur père, leur mère ou leurs aïeux ?
Quand une tombe servait ainsi à plusieurs, la dernière personne inhumée s'y retrouvait seule dans sa posture naturelle, c'est-à-dire étendue tout de son long. Les ossements et même la tête des précédents occupants étaient rassemblés et disposés aux places vides, soit vers le milieu, soit à l'extrémité inférieure du sarcophage.
Aux pieds du mort, souvent aussi, étaient placés un ou plusieurs petits vases funéraires en terre cuite, rouge, grise ou noire, de formes diverses, très fragiles, et la plupart du temps brisés en morceaux.
On sait que I' usage de placer auprès des morts des vases funéraires remonte à la plus haute antiquité. On trouve de ces vases dans les tombeaux des Phéniciens, comme dans ceux des premiers habitants du Mexique, si anciens qu'on ne peut leur assigner de date. Les Grecs et les Romains les remplissaient de parfums, de baume et d'encens (1) ; les Gaulois y ajoutaient des aliments pour les morts.
(1) Thura, unguenta, odores. (Pline le jeune. Epist. Lib. I, cp. 16.)
Depuis, les chrétiens, qui longtemps aussi ont pratiqué le même usage, y mettaient de l'eau bénite.
Nous avons pu, dans nos fouilles de Montataire, recueillir intacts seulement onze de ces petits vases.
Ces objets n'étant pas sans intérêt pour les archéologues et étant précieux, comme date, pour l'histoire locale, je crois devoir en donner suivant l'usage, au moins sommairement, les dimensions et le profil.
Trois de ces vases sont jugés romains ;
ils sont en terre fine, rouge, vernissée et consistent en :
1° Un petit bol d'un diamètre de douze centimètres, et d'une hauteur de vingt-cinq centimètres un quart ;
2° Une grande jatte ronde plate de cinq centimètres et demi de hauteur sur vingt-un de large ;
3° Une petite terrine de forme cylindrique à double rebord, d'un assez joli galbe, diamètre 13 centimètres et demi, hauteur 6 centimètres.
D'autres sont à panse comprimée, ou plutôt à double panse, celle du haut un peu plus forte que celle du bas.
Est attribué également à l'époque gallo-romaine un fragment supérieur de cruche en terre grise, à goulot tréflé, c'est-à-dire dont le bec a été pincé lors de la fabrication, de manière à donner au haut du goulot une forme à peu près trilobée.
Enfin, sont de fabrication romaine, mais peuvent avoir appartenu à des Francs, un anneau de bronze très simple et deux boucles massives en fort beau bronze dont voici la forme :
Dans la tombe romaine signalée plus haut a été trouvé un joli style en bronze, long de 19 centimètres, ayant, vers son milieu, un renflement carré dont les angles sont taillés à facettes, avec parties légèrement striées au-dessus et au-dessous, à l'endroit où devaient se porter les doigts quand on employait cet élégant petit instrument pour écrire.
Tout le monde sait que l'on écrivait alors sur des tablettes couvertes d'une mince couche de cire. On se servait de la pointe du style pour tracer les caractères, et du petit bout plat pour corriger ou effacer en rendant, de nouveau, unie la surface de la cire.
Le style qui nous occupe a été trouvé seul avec les débris d'ossements de son propriétaire qui n'avait apparemment pas d'autre trésor à emporter avec lui dans la tombe.
Si, s'intéressant à nos recherches, son âme pouvait revenir faire marcher, de nouveau, cette plume et nous raconter ce qu'il a vu, que de choses n'aurions-nous pas à lui demander sur ces hommes qui habitaient Montataire, il y a quinze cents ans, qui dorment depuis ce temps en ce clos solitaire, et dont nous sommes venus troubler quelques instants le long et paisible sommeil !
Indépendamment du résultat de ces fouilles, la présence des Romains sur le territoire de Montataire a été révélée par des découvertes faites à différentes époques.
En 1832, un sieur Breton, acquéreur des bâtiments de l'ancienne ferme dite de Royaumont, les ayant démolis, on rencontra dans les fondations et tout autour une quantité considérable de tuiles romaines.
Des médailles romaines ont aussi très souvent été trouvées à Montataire. Cambry y a recueilli un Adrien, deux Antonins, un Nerva, un Philippus-Augustus, un Coesar imperator Augustus (1).
(1) Descript. du départ. De l'Oise, t. III. P. 366.
En 1849, un sieur Minguet, habitant le bas de Montataire, sous les murs du château, ayant eu l'occasion de fouiller plus profondément que d'habitude un coin de son jardin pour y pratiquer une cave, y mit au jour un sarcophage de pierre, de l'époque gallo-romaine. Il s'y trouvait, entre autres objets, un flacon de verre, assez singulier. Ce flacon, dont le goulot était fort étroit, renfermait un autre flacon qu'il avait été absolument impossible d'introduire après coup. C'était donc un tour de force du souffleur, ouvrier romain sans doute, qui avait fabriqué ce bibelot, lequel est conservé au château de Mello.
Lors de sa découverte, le sieur Minguet avait manifesté le désir, quand son tour viendrait, d'être inhumé, lui-même, dans le cercueil de pierre trouvé en sa propriété. L'occasion ne se fit pas attendre. Il mourut très peu de temps après, du choléra. Il était, disent les mauvaises langues qui se plaisent encore à raconter cette histoire, grand buveur, quelque peu ivrogne même, philosophe et libre-penseur.
Il avait recommandé à ses amis de le porter en terre sans l'assistance du curé. On fit comme il l'avait dit. On l'étendit tout de son long dans le sarcophage gallo-romain dont on avait expulsé les restes du précédent propriétaire. On lui mit une pipe à la bouche et, à côté de lui, pour lui faire plaisir et ne pas déroger à ses habitudes, un demi-litre d'eau-de-vie. Mais le cercueil de pierre était, comme on peut le penser, beaucoup trop lourd pour pouvoir être porté à bras, suivant l'usage ordinaire des enterrements en ce pays. On dut le hisser sur un de ces petits chariots bas à l'aide desquels les maçons transportent leurs blocs de pierre et que l'on appelle diables, de sorte que les bonnes femmes disaient, en voyant passer ce singulier cortège : "Ah ben ! ça ne pouvait finir autrement, c'est le diable qui l'emporte".
Une autre trouvaille plus importante est relatée, tout au long, dans les Notices de M. Houbigant.
Le 10 mai 1843, en fouillant le sol pour les travaux du chemin de fer du Nord, sur le territoire de Montataire, un ouvrier découvrit, à 85 centimètres environ de profondeur, une ceinture en or tordu en spirale affectant la forme d'une cordelette. Ce bijou avait 7 millimètres de diamètre, pesait 342 grammes et pouvait avoir une valeur intrinsèque de 890 francs. L'ouvrier, qui suivant la loi avait droit à moitié du prix, reçut 500 francs ; le collier, acheté par l'État, fut placé successivement dans plusieurs musées de Paris ; il doit être maintenant à Saint-Germain.
Les gaulois de haute distinction portaient volontiers des ceintures en or. On en mettait quelquefois aux divinités. Les chefs guerriers se décoraient aussi de colliers ou de bracelets en or de ce même travail tordu en manière de corde (i).
(i) Voir, sur cette ceinture : Mémoires de la Société académique de l'Oise, 1860, t. IV, p. 510 et suiv., et t. V, p. 329. Ce dernier exposé, fait par M. Danjou, diffère, en quelques points, du précédent. J'ai suivi scrupuleusement la version que m'a donnée M. Houbigant lui-même.
M. Houbigant possédait, en son cabinet d'antiquités, plusieurs autres objets recueillis à Montataire, entre autres un vase en poterie rouge romaine moulée, avec figures d'hommes, d'animaux et d'arabesques, et un marteau en silex vert, trouvé dans la rivière du Thérain, qu'il supposait avoir été copié par une main gauloise sur un outil romain en bronze.
M. Houbigant ayant légué sa collection à la ville de Beauvais, tous ces objets se trouvent aujourd'hui dans le musée de cette ville.
Le 8 août 1861, un garde faisant pratiquer un trou pour abattre un arbre profondément enraciné dans le bois du parc de Vignole, près le canal, vit se détacher de la terre noire et tourbeuse qui garnissait le fond de ce trou, un objet jaunâtre et poli qu'il reconnut pour être une de ces haches que l'on appelle celtiques ou des dolmens.
Cette hache est fort belle. Elle est en jade jaune, elle a 13 centimètres de longueur et 6 de largeur à son milieu ; elle va en se rétrécissant un peu vers la pointe. L'extrémité est tranchante, les deux côtés sont taillés à angle droit.
En voici le dessin :
C'est le plus ancien objet travaillé de main d'homme qui, à notre connaissance, ait été trouvé sur le territoire de Montataire.
Le polissage de pierres dures, telles que le jade, exigeait, à cette époque reculée, un travail considérable et des prodiges de patience. Aussi ces pierres polies acquéraient-elles une grande valeur et n'étaient-elles que très rarement employées comme armes de guerre. Bien plus souvent, elles servaient d'insignes aux chefs
militaires, ou, à cause de leur prix, étaient utilisées comme moyen d'échange. On les réservait aussi pour les sacrifices solennels et pour la sépulture des grands.