Histoire d'un vieux château de France -
Monographie du château de Montataire
par le baron de Condé

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ÉPOQUE FRANQUE

Presque toutes les tombes franques rencontrées en nos fouilles de Montataire contenaient des armes ou des restes d'armes. C'étaient, en général, des fragments très oxydés et boursouflés par la rouille, de fers de lances et de javelines dites framées, ou de ces petits couteaux que les Francs aimaient à porter sur eux, et de ces courts et larges glaives ou sabres qu'ils appelaient scramasaxes (1).
(1) Habent scramasaxos (Grégoire de Tours, Hist. franç, lib. IV, c. 46. Gesta francorum, cap. 35). Cultellos permaximos quos vulgariter scramasaxos nominamus. (Roric. apud du Cange, Glossarium, II, p. 694, édit. 1842.)

Le scramasaxe était, avec la framée, l'arme la plus habituelle du guerrier. Il la portait à la ceinture et, dans sa tombe, on la trouve, en général, placée entre ses jambes.
Lorsque les Francs combattaient, leur tactique était de chercher à enfoncer leur javeline dans le bouclier de l'ennemi pour s'en servir, en appuyant dessus, à découvrir cet ennemi qu'ils frappaient alors avec le scramasaxe ou grande dague.
Ce glaive, toujours droit, tranchant d'un côté seulement, avait souvent, du côté du dos, de larges rainures que l'on a crues destinées à recevoir du poison, mais qui avaient seulement pour but d'alléger l'arme et de lui ôter du poids, tout en lui laissant sa puissance. Les plus grands de ces sabres ont, avec la poignée, cinquante centimètres de long sur cinq centimètres et demi de large.
Ceux trouvés à Montataire, excessivement oxydés, semblaient avoir été brisés en morceaux. C'était, paraît-il, quelquefois la pratique des Francs en inhumant leurs morts. Ils tenaient à leur laisser leurs armes, mais ne voulaient pas que ces armes pussent servir à d'autres.
Toutes celles dont nous avons recueilli les débris étaient en fer. Aucune ne portait trace d'ornements ni de damasquinures. Elles appartenaient probablement à des Francs des premières invasions.
Point de casque ni de débris de casque. Ces barbares, dans l'origine, n'avaient pour protéger leur tête que les épaisses tresses de leurs cheveux toujours teints en rouge, et les petits boucliers ronds, recouverts de peaux, dont leur bras gauche était muni.
La plus précieuse découverte que nous ayons faite dans ces tombes est celle d'une de ces petites haches de guerre recourbées, d'une forme toute particulière, très différente de celles dont on se servait plus tard sous les Carolingiens, bien connues, au contraire, pour avoir été l'arme des chefs et des soldats d'élite sous la première race de nos rois, et désignées généralement sous le nom de francisques.
En voici le croquis :
Francisque
Cette francisque, quoique très oxydée, est d'une bonne conservation ; on y distingue parfaitement, dans le trou pratiqué pour recevoir le manche, la trace et même quelques vestiges du bois dont était formé ce manche. Elle a dix-neuf centimètres de long, et est semblable, quoique moins rongée par la rouille, à celle qui fut recueillie, en 1653, dans le tombeau de Childéric, à Tournai (1), à celle trouvée près de Verdun, en 1740 (2), et à celle qui fut découverte à Dreux vers 1832 (3). On en voit deux absolument pareilles au musée de Cluny, et deux autres dans la collection récemment formée à l'hôtel des Invalides, à Paris.
(1) Le 27 mai 1653, comme on démolissait une vieille maison de Tournai, près du cimetière Saint-Brice, on rencontra, à sept pieds de profondeur, une pierre qui recouvrait une tombe… C'était celle de Childéric ou Hildérick, fils de Mérovée, père de Clovis. Elle contenait une épée, une petite tête de bœuf, emblème du dieu Thor, quantité de petites abeilles en or émaillé, 300 pièces de monnaie, des boucles de ceinture, un fer de lance et une frankiste ou hache d'armes, avec un squelette dont la tête reposait sur la hache d'armes, et un anneau d'or qui portait pour légende : Childerici regis. (Tournai anc. et mod., par Bozière, pp. 274 et 275.) Ces objets, conservés longtemps à la bibliothèque Richelieu, furent malheureusement presque tous volés dans la nuit du 5 novembre 1831. Il ne reste que deux abeilles, deux médailles, un globe de verre, et la francisque. Celle-ci, du reste, a été gravée dans l'ouvrage de Montfaucon, Monuments de la monarchie française.
(2) Le tombeau du chef franc, trouvé près de Verdun, en 1740, contenait une francisque conservée par Schœpflin et publiée par Oberlin, son disciple, en 1773. (Museum Scfœpflini, p. 145. - Abbé Cochet, Sépultures Gauloises, romaines, franques, p. 209.)
(3) Vers 1832, en creusant, à Dreux, la fondation de la chapelle sépulcrale de la famille d'Orléans, on trouva dans un tombeau, à plusieurs mètres du sol, une hache d'armes très rouillée, à un seul tranchant, comme la francisque recueillie dans le tombeau de Childéric. (Abbé Cochet, pp. 208 et 363.)

Le modèle semble en avoir été, dans l'origine, uniforme comme celui de nos armes dites d'ordonnance. La francisque était portée et par le soldat, au moins le soldat d'élite, et par le roi lui-même, ainsi que le prouve le tombeau de Childéric, et, dans l'histoire de Clovis, l'épisode si connu du vase de Soissons. C'est avec sa francisque que, lors du partage du butin, à Soissons, un soldat de mauvaise humeur avait brisé le vase que Clovis réclamait pour le rendre à l'évêque Rémi, en disant : "Tu n'auras rien, roi, que ce que t'accordera le sort". C'est avec sa francisque aussi que Clovis, qui n'avait pas oublié cet affront, retrouvant un an après ce même soldat dans les rangs, lui fendit la tête en disant à son tour : "Voilà pour le vase de Soissons".
Ces petites haches franques ne sont pas communes. M. Bazot estime que l'on en trouve, tout au plus, une sur cinquante tombes de guerriers francs ; M. l'abbé Cochet, une sur trente. On en comptait six à l'intéressante section archéologique de l'Exposition universelle de 1867. Plus tard, la forme de cette hachette a varié. Dans les tombes mérovingiennes fouillées depuis peu à Hermes, on en remarque de plusieurs modèles différents. A l'hôtel des Invalides, on peut se rendre compte des changements successifs apportés à la forme de cette arme. Parmi les objets recueillis en nos tombes franques de Montataire, se trouvait aussi une boucle ou agrafe de ceinturon absolument semblable de forme à l'une de celles du tombeau de Childéric. Seulement elle n'était pas dorée comme celle du roi.
Point de monnaies, ni médailles. Mais, au pied de presque toutes les tombes, des débris de petites urnes funéraires, en terre noire très fragile. Nous n'avons pu en recueillir d'intactes que deux dont voici les croquis :
Elles ont, la première 10 centimètres de haut sur 9 de large, la seconde 6 centimètres et demi de haut sur 9 de large. Elles sont, comme on le voit, guillochées, l'une de deux rangs de petites raies, l'autre de six ou sept rangs de très petits trous, gravés en creux dans la pâte.
Croquis de deux petits vases
Quelle date faut-il assigner à ces tombes ? L'invasion des Francs, on le sait, ne se fit pas en une fois. Audacieux et d'humeur aventureuse, ils arrivaient par bandes séparées, s'arrêtant là où le pays leur paraissait convenable, y séjournant, rançonnant les gallo-romains qui ne leur opposaient aucune résistance (1), laissant, du reste, aux populations parmi lesquelles ils s'installaient en vainqueurs, leurs lois, leurs mœurs et leurs coutumes.
(1) Mémoires de la Société académ. de l'Oise, VII, p. 287.
L'invasion la plus considérable, en nos pays, fut celle de l'an 406. En 471, Childéric s'empara de Beauvais. En 488, Clovis, son fils, prenait Noyon.
L'extrême simplicité des armes et autres objets trouvés dans nos tombeaux, l'absence de ces monnaies gauloises ou romaines que ces nouveaux venus adoptèrent au bout de peu de temps de séjour parmi nous, semblent indiquer une civilisation encore bien primitive.
Nos Francs doivent avoir appartenu aux bandes qui précédèrent ou accompagnèrent Clovis, et nos tombes franques, par conséquent, peuvent dater du Ve siècle.
De même que la hache de guerre du soldat ou du chef franc trouvée à Montataire était semblable à celle du roi Childéric, de même les tombeaux des rois de la première race ne différaient point de ceux de leurs sujets.
Ces rois, à partir de Childéric, fils de Clovis, avaient pris l'habitude de se faire inhumer en l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, appelée alors Sainte-Croix-Saint-Vincent (l'abbaye royale de Saint-Denis ne fut fondée que bien plus tard, par Dagobert).
Or, en son histoire de Saint-Germain-des-Prés, Dom Bouillart (1) raconte que, diverses fois, les travaux de réparation ou de décoration de l'église amenèrent la découverte de quelques-unes de ces tombes royales. Les corps étaient renfermés, dit-il, dans des cercueils de pierre, sans aucun ornement extérieur ; mais ils paraissaient avoir été enveloppés de linceuls de soie et d'étoffes précieuses.
(1) Histoire de l'Abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, par Dom Bouillart, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur.

Le sarcophage du roi Chilpéric, reproduit par Montfaucon dans les Monuments de la Monarchie française, est absolument semblable aux nôtres.
Nous avons recueilli et fait placer dans le petit musée de pierre du château de Montataire les plus beaux de ceux que nous avons trouvés. Quelques-uns ont appartenu à des guerriers de haute stature, mais le plus grand nombre semble avoir été destiné à des individus dont la taille ne dépassait pas la moyenne actuelle.
La plus petite tombe de toutes est incontestablement la plus curieuse. C'est celle qui va faire l'objet du chapitre suivant.

CURIEUX SARCOPHAGE D'ENFANT

Nous avons dit au commencement de ce livre que les tombes trouvées en nos fouilles de Montataire étaient dépourvues d'ornements, d'inscriptions, et ne portaient aucun signe chrétien ou autre, à l'exception de l'une d'elles qui offrait une particularité tout à fait digne d'attirer l'attention.
C'est la tombe d'un enfant fort jeune ; elle n'a que 67 centimètres de long à l'extérieur, 62 à l'intérieur.
Sa paroi inférieure, celle sur laquelle reposait le corps du petit être qui lui était confié, était percée, de part en part, par une ouverture en forme de croix affectant de suivre, en son dessin, la configuration même du sarcophage, c'est-à-dire, sensiblement plus large du côté de la tête que du côté des pieds. Dimensions de cette croix : longueur 40 centimètres, largeur, à un bout, 6 centimètres, à l'autre 4.
En voici la figuration :
Croquis du sarcophage d'enfant
Est-ce bien une croix ?
Aurait-on voulu, par hasard, représenter un poignard ? Mais il serait pointu par le bout. D'ailleurs, ni les gaulois, ni les Francs, ni même les Romains n'en avaient guère de cette forme.
Au fond de quelques tombes de pierre, on rencontre un ou quelquefois plusieurs trous de forme circulaire. Mais ces trous, percés dans un but tout matériel, pour l'écoulement des eaux provenant de la décomposition du corps, sont toujours, à cause de leur destination, taillés en entonnoir. Ici, rien de semblable. Les bords ne sont aucunement amincis ni chanfreinés ; ils sont absolument taillés à arête vive.
A-t-on réellement voulu tracer une croix chrétienne ? Et cette petite tombe aurait-elle appartenu à une famille qui, dans les tout premiers temps du christianisme en nos contrées, temps, comme l'on sait, de persécution violente de la part des Romains, en cherchant à dérober ce symbole sacré aux regards profanes, en aurait accompagné la dépouille d'un enfant chéri ?
Cette croix, au lieu d'être sculptée ou simplement gravée dans la pierre, est percée de part en part, tout à jour.
Y aurait-il là aussi une naïve réminiscence des tendances druidiques et de la doctrine spiritualiste qui, même avant le christianisme, existait d'une manière plus vague chez ces peuples primitifs ? Le corps est mort, mais non pas l'âme, qui est destinée à passer dans un monde meilleur. Laissons-la passer ; donnons-lui une issue.
On a trouvé des jours pratiqués, à cet effet, en quelques tombeaux dolméniques. M. de Maricourt, dans une étude lue au comité archéologique de Senlis, rappelle que ces trous étaient destinés à favoriser les allées et venues de l'âme, encore retenue par les liens terrestres et attirée vers le séjour mystérieux qui lui est destiné (1).
(1) Mémoires du Comité de Senlis, 1877, p. 68.

Quoi qu'il en soit, la sagacité de plus d'un savant s'est exercée sur cette petite tombe d'enfant qui a été l'objet de diverses dissertations et d'une intéressante notice insérée dans la Revue de l'art chrétien (1).
(1) Par M. Élie Petit, numéro de janvier 1858.

Il n'y avait dans cette tombe rien qui pût servir d'indice et aider à la solution du problème. Les quelques menus ossements d'enfant qui se trouvaient au fond, n'ont pu même être recueillis et sont tombés en poussière dès qu'on y a touché. Tout autour, il n'y avait pas d'autres cercueils de pierre, mais un assez grand nombre d'ossements d'adultes simplement mêlés à la terre.
Si la figure découpée dans ce petit sarcophage est véritablement une croix, c'est un monument excessivement rare et précieux de l'époque même où le christianisme a commencé à s'introduire dans nos contrées. Les Romains se montraient alors excessivement hostiles aux nouveaux dogme, qui était inexorablement proscrit, et ses premiers adeptes se voyaient, sous peine de mort, obligés de cacher absolument leur croyance.
Beaucoup plus tard, lors de l'établissement officiel du christianisme à Montataire, les habitants se firent inhumer autour des chapelles ou petites basiliques qui furent élevées, l'une au centre de la bourgade, dans la vallée du Thérain, l'autre un peu au delà sur les bords de la rivière, comme nous allons le voir ci-après ; la troisième sur la montagne, à la place où se trouve l'église actuelle. Les deux premiers de ces cimetières ont été supprimés, il y a environ quatre-vingts ans. Le dernier a été reporté il y a une quinzaine d'années seulement en un clos plus éloigné des habitations.
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