Histoire d'un vieux château de France -
Monographie du château de Montataire
par le baron de Condé

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RENAUD II, COMTE DE CLERMONT

Seigneur de Montataire

(1105 – 1157) A Hugues de Clermont succéda son fils aîné, Renaud II, comte de Clermont, châtelain de Creil et seigneur de Montataire.
C'est en 1105 que, Hugues étant mort, Renaud le remplaça ; mais, dès l'an 1100, il avait concouru, avec lui et son frère Guy, à une donation faite aux religieux de l'abbaye Saint-Germer.
Ce Guy de Clermont, second fils de Hugues, était surnommé : Sans-Sommeil (qui non dormit), ce qui ne l'empêcha pas d'être un des plus intrépides chevaliers du roi Louis le Gros. Fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Brenneville, en 1119, il fut, par ordre d'Henri, roi d'Angleterre, conduit à Rouen où il mourut captif (1).
(1) Orderic Vital. Rec. Des Hist. De Fr., L.XII, cap. 723, 855.

Renaud avait un autre frère nommé Hugues, comme son père, et surnommé le Pauvre (pauper), parce qu'il était sans patrimoine. Il avait de plus quatre sœurs : Emme ou Emma, dont le mariage avec le comte de Beaumont amena les aventures que nous avons racontées plus haut ; Ermentrude, mariée au sire d'Avranches, dit le Loup, veuve en 1101 ; Marguerite, qui épousa Gérard de Gerberoy, et exprima en mourant, vers 1150, le désir d'être inhumée dans l'église de Saint-Leu-d'Esserent, en faveur de laquelle elle avait fait une donation, avec l'agrément de son frère ; enfin Richilde, qui fut mariée à Dreux II de Mello et reçut en dot le domaine de Mouchy.
Comme son beau-frère de Beaumont, le sire de Mello eut maille à partir avec le roi Louis, qui lui brûla son château.
Ces deux seigneurs, Dreux de Mello et Mathieu de Beaumont, furent aux Croisades, ainsi que Renaud de Clermont ; car Renaud est vraisemblablement le Raginaldus belvacensis, cité, par Mathieu Paris, comme ayant pris part à la première croisade.
On le retrouve dans un très grand nombre d'actes, notamment de 1130 à 1150.
Ce fut lui qui, conjointement avec son neveu Mathieu II, comte de Beaumont, fonda l'abbaye d'Hérivaux, par la donation d'un bois près de Luzarches, à un hermite nommé Ascelin (1).
(1) Gallia Christiana, t. VII, col. 271, 274.

En 1144, de l'avis des seigneurs de sa cour, il abandonnait à l'abbaye de Saint-Leu-d'Esserent la cinquième part des droits qu'il percevait au pont de Creil, et cette donation était ratifiée par les évêques de Beauvais et de Reims (1).
(1) Dom Grenier.

Vers l'année 1150, cette date est intéressante pour nous, il faisait fortifier son château de Montathère (1).
(1) Comte de Lucay : Comté de Clermont. – Mathon, Histoire de Creil. - Mss. De dom Grenier, t. CLXVIII, p. 81.

Beaucoup de ces dates et de ces détails sont tirés des manuscrits de dom Grenier, que j'aime à citer, d'abord parce que l'on trouve chez lui quantité de renseignements précieux, et puis parce que, rappeler son nom, c'est faire acte de justice et de réparation en rendant au moins un hommage posthume à ce laborieux bénédictin qui, après toute une vie d'études et de recherches, n'a pu avoir la satisfaction à laquelle il aspirait de publier le résultat de ses consciencieux travaux.
On l'avait vu, pendant vingt-cinq ans, parcourir la Picardie, visitant les abbayes, compulsant les archives et les chartriers de la province. De 1766 à 1780, il avait surtout exploré le Senlisis et amassé des matériaux sans nombre pour une histoire complète de tout ce pays. En 1786, heureux de pouvoir enfin commencer sa publication, il lança son prospectus. Il y rappelait que la Picardie fut le premier royaume des Francs, le berceau de la monarchie. Il finissait, ce savant modeste, en disant : "Nous avons fait ce qui a dépendu de nous pour cette portion importante de l'histoire nationale. C'est au public à nous mettre en état de l'en faire jouir. On souscrit, à Paris, chez dom Grenier, bénédictin de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, et chez M. Pierre, imprimeur du Roi…, rue Saint-Jacques".
Hélas ! personne ne souscrivit. On avait bien autre chose en tête, en ces moments troublés, que de s'occuper du berceau de la monarchie française, dont on était sur le point de creuser la tombe….
Le pauvre dom Grenier mourut en 1789. On trouva dans sa cellule, à l'abbaye Saint-Germain, des montagnes de notes manuscrites que l'on transporta, depuis, à la Bibliothèque de la rue Richelieu, où elles constituent un véritable trésor de matériaux historiques.
On sait qu'au XIIe siècle, l'architecture militaire féodale qui, jusque là, était restée dans l'enfance, prit tout à coup un essor considérable.
Le roi Louis VI donna l'exemple en faisant fortifier le Louvre (1103-1137). C'est lui et son fils qui ajoutèrent au Palais de la Cité, aujourd'hui Palais de Justice, ces tours rondes que l'on aperçoit encore sur le quai (1). Elles sont contemporaines de celles de Montataire et leur ressemblent absolument. Les unes et les autres ont été accompagnées, depuis, de bâtiments modernes.
(1) Viollet-le-Duc. Diction. De l'Architect., VI, p. 219 et I, p. 314.

Philippe-Auguste voulut que tous les châteaux fussent fortifiés. Aujourd'hui, il en reste bien peu de cette époque. Celui de Renaud II, à Montataire, se composait d'abord d'un haut donjon flanqué de quatre tours rondes (1) d'inégales grosseurs, d'un diamètre peu considérable (1). La plus forte était placée à l'angle de l'édifice regardant le confluent des deux vallées, du côté où l'on domine le plus et le mieux.
(1) Dans le nord et l'ouest de la France, les tours des forteresses féodales étaient presque toujours rondes ; dans l'est et le midi, au contraire, on les trouve souvent carrées.
(2) Jusqu'à la fin du XIIe siècle, le diamètre des tours était petit. (Viollet-le-Duc. I, p. 375).

Une partie du donjon et deux des tours de Renaud existent encore aujourd'hui.
Les deux autres s'étaient écroulées, ainsi que presque tout le reste du château, lors des guerres des Anglais aux XIVe et XVe siècles. Elles ont été refaites au XVe siècle ; mais, de celles-là, il ne reste plus qu'une.
Les tours construites par Renaud sont massives et sévères, uniquement destinées à la défense, sans ornements, sans moulures ni sculptures ; elles ne paraissent pas même avoir été jamais surmontées de mâchicoulis, les mâchicoulis n'ayant guère commencés à être employés que cent ans plus tard et n'ayant été universellement adoptés qu'aux XIVe et XVe siècles. Entre ces deux tours, dans la partie inférieure de la courtine, se trouvent deux arcades de décharge à plein cintre. Une autre arcade, également à plein cintre, était ménagée dans le soubassement de l'édifice, un peu plus loin, sous la partie qui a été remaniée au XVIIe siècle.
Les constructeurs de cette époque, dit Viollet-le-Duc, tout en donnant aux murs de leurs édifices une forte épaisseur, cherchaient, pour économiser les matériaux, à les alléger par ces sortes d'arcades qui furent, plus tard, remplacées par l'emploi des contreforts (1).
(1) Dict. d'Arch., I, p. 88.

Le donjon de Renaud comprenait, à chaque étage, une seule salle, plus trois petites pièces accessoires prises dans les tours. A l'intérieur de la quatrième tour montait un escalier de pierre en colimaçon, assez étroit pour pouvoir être défendu, au besoin, par un seul homme. Le bas de la tour principale est voûté à grandes arcades ogivales (1), dont les retombées sont portées par des corbeaux de pierre engagés en la muraille circulaire, dans le pur style du XIIe siècle, c'est-à-dire à arcs de voûte et consoles rectangulaires très simples, à arêtes chanfreinées (2).
(1) L'arc en tiers-point était adopté pour les voûtes dès le commencement du XIIe siècle dans l'Ile-de-France et en Champagne, c'est-à-dire dans les provinces les plus avancées (Viollet-le-Duc, IV, p.31).
(2) Ce n'est que tout à la fin du XIIe siècle qu'ont commencé, et au XIIIe qu'ont été généralement employés, les arcs en faisceau de tores, dits boudins (Viollet-le-Duc, I, 55, et II, 219).

Du même style est la voûte de la salle centrale située au rez-de-chaussée du donjon. Les arêtes de voûte de cette salle s'appuyaient tout autour sur des corbeaux de pierre formant, comme les précédents, saillie sur le parement du mur et, au milieu de la salle, sur un gros pilier rond recevant la retombée centrale des voûtes et supportant par conséquent tout le poids du milieu du donjon.
dessin de la salle des gardes
Ce pilier, à l'époque des dévastations de la guerre de Cent Ans et de la ruine presque complète du château, ayant fait mine de s'effondrer et de laisser écrouler ce qui subsistait du donjon, on l'a, pour le maintenir, soutenu par une énorme muraille de refend qui l'englobait et le cachait entièrement. On avait, de plus, à une époque beaucoup plus récente, pour diminuer la hauteur monumentale de cette belle pièce, par suite d'un goût assurément bien mesquin, et pour pouvoir la chauffer plus facilement, caché absolument cette grande voûte par un plafond plat et surbaissé qui venait tout autour, s'appuyant sur les corbeaux de pierre incrustés dans les murs. Intrigué par la vue de ces corbeaux, lesquels étaient restés visibles, je fis, un jour mémorable, défoncer ce plafond, démolir cette muraille, en ayant soin, bien entendu, de soutenir le château en sous-œuvre, et j'ai eu le bonheur inexprimable de retrouver toute cette voûte et ce vieux pilier solitaire surmonté de son chapiteau du XIIe siècle, que je n'ai voulu laisser ni restaurer, ni gratter, ni même nettoyer.
Chapiteau de la salle des gardes
Cette disposition très hardie et pittoresque se retrouve à la base de plusieurs édifices de cette époque. On en voit un exemple au donjon dit de la Guinette, à Etampes. – Un autre à Saint-André-en-Gouffren, cité par M. de Caumont, comme présentant, dès le XIIe siècle, des chapiteaux octogones (1). – Un autre à l'Hôtel-Dieu de Compiègne.
(1) Archéologie civile et militaire, p. 55

M. Emmanuel Woillez, dans un de ses intéressants mémoires, du manuscrit duquel il a bien voulu enrichir la bibliothèque du château de Montataire (1), signale, près l'église de Saint-Jean-aux-Bois, arrondissement de Compiègne, une salle basse qui a beaucoup d'analogie avec la nôtre. Elle est bâtie au niveau du sol, voûtée, avec colonnes courtes à chapiteaux à crochets du XIIe siècle, lesquels reçoivent la retombée des arceaux de la voûte. C'est ce qui reste du palais de la reine Adélaïde, veuve de Louis-le-Gros (1152). M. Woillez fait remarquer que les édifices civils du XIIe siècle sont excessivement rares en nos environs.
(1) Mémoires archéolog. et histor. Sur les principales constructions civiles des arrondissements de Compiègne et de Senlis (1853).

Les chapiteaux dits à crochets ou crosses, composés de feuilles d'eau enroulées à leur extrémité en forme de volutes qui soutiennent les cornes de la tablette, ont été principalement employés au XIIIe siècle, mais on les rencontre souvent, en nos contrées, dès la seconde moitié du XIIe siècle.
La partie de l'église de Montataire qui remonte à cette époque en contient plusieurs, de même que la vieille collégiale de Saint-Evremont de Creil et la belle église de l'abbaye Saint-Germer, au delà de Beauvais (1).
(1) Voir l'Archéologie romane de M. Eugène Woilez, frère du précédent, planches VIII, XII et XIII.

L'histoire du chapiteau est celle même de l'architecture, et Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire, la traite de main de maître. Il fait d'une manière si exacte, sans l'avoir spécialement en vue, la description du chapiteau de la salle basse de Montataire et en explique et développe d'une manière si relevée la synthèse, que nous ne résistons pas au plaisir de citer cette belle page, un peu technique peut-être, mais à coup sûr très instructive et tout à fait appropriée à notre sujet.
"C'est dans l'Ile-de-France et surtout sur les bords de l'Oise, que le crochet prend une place importante, dès le milieu du XIIe siècle. Les premiers crochets apparaissent sous les tablettes de couronnement des corniches, de 1150 à 1160. Ils sont petits, composés, à la tête, de trois folioles retournées…. La tige d'où sortent ces fleurs est grosse, élargie…. Parfois l'abaque est octogone, suivant les retombées, mais séparé du chapiteau, à la base, de manière à s'appuyer sur le profil servant de fond à l'ornement". …………………………………………...
"En abandonnant la tradition romane pour entrer dans l'ère ogivale, inaugurée à la fin du XIIe siècle dans les provinces du domaine royal, la composition des chapiteaux se soumet à un mode fixe ; elle devient logique comme le principe général de l'architecture. Ce sera désormais le sommier des arc supporté par le chapiteau qui commandera la forme du tailloir ; ce sera la forme du tailloir qui commandera la composition du chapiteau…. Notons ce fait dont nous ne saurions trop faire ressortir l'importance : dans l'architecture ogivale, c'est la voûte et ses divers arcs qui imposent aux membres inférieurs de l'architecture, aux supports, leur nombre, leur place et leur forme, jusque dans leurs moindres détails" (1).
(1) Viollet-le-Duc, Dict. d'Architect., II, p. 508 et 524, et IV, p. 400.

Le donjon de Renaud était accompagné de courtines crénelées et de bâtiments, la plupart antérieurs au donjon et moins élevés que les tours, formant une cour quadrangulaire, irrégulière, suivant la disposition du terrain. Sur l'escarpement qui bornait cette cour, au nord, s'élevait une tour ronde. Elle était destinée à dominer le haut plateau et à surveiller toute la vaste plaine qui s'étend vers Barisseuse, Cambronne et Laigneville.
On voit encore la base de cette tour qui n'a été démolie, non sans de prodigieux efforts, tant elle était solide, que vers l'année 1830. C'était, comme nous l'avons vu, une époque féconde en démolitions. On l'a minée, puis entourée de très gros et longs câbles auxquels on a attelé quinze chevaux. Cet acte de vandalisme est vraiment regrettable, et peut-être, quoi que ce soit maintenant difficile, ne serait-il pas impossible de le réparer par la reconstruction de la tour, dont on a des dessins anciens. C'était un type très caractérisé de ce que l'on appelait la tour de guet. "La tour de Guet n'avait pas seulement pour objet de prévenir la petite garnison du château d'une approche suspecte, mais bien plus d'avertir les gens du village de se défier d'une surprise, de se prémunir contre une attaque possible. Il n'était pas rare de voir une troupe de partisans profiter de la nuit ou des heures où la plupart des gens étaient aux champs, pour s'emparer d'une bourgade et la mettre à rançon. Au premier avertissement du guetteur, les populations accouraient, se groupaient derrière les murs du château et organisaient la défense.
Dans le cours ordinaire de la vie, les guetteurs, qui veillaient jour et nuit au sommet de la tour, avertissaient les gens du château du retour du maître, de l'heure des repas, du lever et coucher du soleil, des feux qui s'allumaient dans la campagne, de l'arrivée des visiteurs, des messagers, des convois. La guette était ainsi la voix du château, son avertisseur" (1).
(1) Viollet-le-Duc, t. IX, p. 157.

Cette même cour du château de Montataire renfermait un fort beau puits de 123 pieds de profondeur, qui existe encore. Il est percé presque entièrement dans la masse de pierre calcaire qui compose le noyau de la montagne et contient, au fond, un peu au-dessus du niveau de l'eau, une chambre peu profonde où un homme peut se tenir debout. La cour d'honneur était précédée, du côté du village, d'une vaste basse-cour comprise dans l'enceinte fortifiée et renfermant une quantité considérable de logements rustiques, dépendances, étables, chenils, etc. Pour beaucoup de ces logements on avait utilisé des grottes pratiquées, de temps immémorial, dans le roc, et qui offrent encore aujourd'hui l'aspect le plus singulier et le plus original.
Il existe même quelques uns de ces logements primitifs en dehors de l'enceinte du château, auquel ils n'ont pas cessé d'appartenir. Creusés dans le tuf, ayant leur petite façade garnie d'un mur percé de portes et fenêtres, chauds l'hiver, jamais en été, ne craignant ni l'incendie, ni la foudre, ils sont fort recherchés des vieux ménages qui n'ont pas assez de fortune pour payer un gros loyer ; une des conditions même, pour y être admis, est de ne pouvoir payer de loyer, ni gros ni petit.
De tout ce côté nord où le terrain est plus élevé, le château était protégé par une muraille flanquée, de distance en distance, de tours demi-circulaires, saillantes à l'extérieur, ouvertes en dedans pour empêcher les assiégeants, s'ils venaient à s'en emparer, de pouvoir s'y maintenir. Ces tours flanquantes sont percées, à diverses hauteurs, de meurtrières auxquelles on parvenait par des pentes douces. Elles étaient seulement à l'usage des archers et des arbalétriers, ayant été construites trois cents ans avant l'invention de la poudre (1).
(1) Les meurtrières ou archères, fentes pratiquées dans les tours et murs de défense pour permettre de lancer des flèches ou des traits d'arbalète et de voir au dehors sans être exposé aux atteintes de l'ennemi, commencent à paraître dans les fortifications du XIIe siècle. Elles étaient quelquefois placées en contrebas du tireur (Voir les gravures de Viollet-le-Duc, Dict. d'Archit., VI, p. 390). Plus tard, à partir du XIVe siècle, elles deviennent rares dans les parties inférieures des défenses, parce que l'art d'attaquer les places ayant fait des progrès, on craignait qu'elles n'indiquassent les endroits les plus faciles à miner.

Deux de ces vieilles tours existent encore, ainsi qu'une partie assez considérable de la muraille qu'elles appuyaient et dont un bout est crénelé. Cette antique muraille crénelée et ces tours à meurtrières étaient naguères recouvertes d'un lierre touffu qui paraissait presque leur contemporain, et que l'on respectait à cause de son grand âge, mais qui avait l'inconvénient de les masquer entièrement.
La violente gelée de l'hiver 1879-1880 ayant mis à mort ce malheureux lierre, les tours et le mur crénelé ont fait leur apparition, et ces beaux vestiges, préservés pendant des siècles et très bien conservés, attirent tout particulièrement l'attention des archéologues. Nous en donnons ci-contre le dessin.
Au-dessous de la principale de ces tours était pratiqué un souterrain qui, s'enfonçant très profondément dans le rocher, s'en allait passer à plusieurs mètres sous l'enceinte même du château et formait une de ces issues secrètes destinées à faciliter, en temps de siège, les sorties ou le ravitaillement de la petite garnison. Ces mystérieux passages devaient surtout servir quand on avait à se garer d'incursions étrangères, comme furent chez nous celles des Normands, des Anglais et des Bourguignons. Dans les guerres féodales, entre voisins, elles devaient être trop connues pour pouvoir être efficacement utilisées.

Indépendamment de cette première enceinte, le château était protégé par une seconde muraille s'étendant en contre-bas, du côté des vallées, et, dans le haut, s'avançant en plaine et renfermant dans son périmètre l'église, alors chapelle du château, un cimetière et les logis des chapelains et gens d'église ; on voit encore, dans un bout des vieux murs de l'ancien cimetière, des meurtrières à l'usage d'archers ou d'arbalétriers. Ces murs formaient la défense avancée du château. De là on pouvait facilement se replier dans la première enceinte par une poterne aujourd'hui murée, mais encore très visible.
L'ensemble de ces dispositions se complétait, par une série de clos entourés de murailles, auxquels on ne pouvait arriver que par des portes également fortifiées qui existaient encore il n'y a pas très longtemps. Ces clos sont désignés, aujourd'hui, sous les noms de clos Blanc, clos Rouge, clos de la Cure, clos de la garenne de la Caquetière. Ce dernier possède, entre autres bâtiments, une maison à tourelle, type du petit manoir d'autrefois, une grange du XIIIe siècle, avec vieux bancs de pierre dans l'embrasure des fenêtres et croix de pierre dans les mêmes fenêtres, et une assez belle entrée du XIVe siècle présentant, comme toujours alors, la double porte, une grande, une petite ; la dernière est ogivale.
Ces enclos, ces vastes espaces, tous ces abris compris dans les enceintes du château étaient nécessaires pour recevoir au besoin les populations.
A cette première époque de la féodalité, bien avant que les communes se fussent organisées elles-mêmes, les vassaux avaient le droit de se réfugier dans la forteresse, en temps de guerre, en cas d'alerte ou d'invasion ennemie. Quand l'invasion, comme il arrivait trop souvent, était brutale et accompagnée de pillage, de viol et de meurtres, c'étaient les familles entières qui venaient y chercher un asile, amenant leur bétail et apportant ce qu'elles avaient de plus précieux. C'était un droit reconnu, pratiqué sans conteste. Les hommes se tenaient derrière les murailles, défendaient le château, aidaient à repousser l'ennemi, et, quand ils en étaient débarrassés, retournaient accompagnés de leurs familles, à leurs agrestes occupations.
Des côtés sud et sud-ouest, les murailles et remparts du château étaient construits à pic sur l'escarpement des vallées de l'Oise et du Thérain. Ces remparts existent encore, mais leurs parapets, jadis garnis de créneaux, ont été remplacés, à l'époque de la renaissance et au XVIIe siècle par des balustrades à l'italienne.
A l'extrémité sud-ouest de ces remparts, sur le sommet du cap à angle aigu qui domine l'ancien bourg de Montataire, est placée, en vedette ou sentinelle avancée, une petite échauguette, jolie guérite de pierre en encorbellement et à toit pointu, de l'intérieur de laquelle on pouvait, en temps de guerre, surveiller, de ce côté, les abords du château. Bien qu'elle ne date pas de la sévère époque des premières fortifications et qu'elle soit maintenant accompagnée de balustrades à jour, cette tourelle est intéressante et, en tous les cas, posée d'une manière très pittoresque. Je me suis étendu avec quelque détail sur les fortifications de Renaud II. L'histoire de Montataire est celle de bien des châteaux. Beaucoup ont été fortifiés de même ; très peu ont conservé des vestiges des temps primitifs où l'architecture militaire a commencé à prendre son essor dans nos contrées.

N'oublions pas que le château-fort, la villa mérovingienne, le castrum romain, l'oppidum gaulois, ne sont que les installations successives des différentes races, presque toujours au même lieu, les bonnes positions étant de toutes les époques.
L'histoire d'un vieux château peut donc être considérée comme une des chaînes non interrompues qui relient nos antiques origines à l'ère moderne.
Plus le pays va dans les voies nouvelles, plus augmente, suivant nous, l'intérêt qui s'attache à l'étude de la France d'autrefois.
"C'est du fond de ces sombres donjons, dit Viollet-le-Duc (je ne cesse de le citer parce que nul n'a plus étudié et mieux compris le moyen âge), que sont sortis ces principes de chevalerie qui ont pris, dans l'histoire de notre pays, une si large part et qui, malgré bien des fautes, ont contribué à assurer sa grandeur. Respectons ces débris. Si parfois ils rappellent des abus…, ils conservent du moins l'empreinte de l'énergie morale dont heureusement nous possédons encore la tradition" (1).
(1) Dictionnaire d'Architecture, V, p. 64.

Renaud se maria deux fois. Il épousa en premières noces, vers 1103, une très grande dame, Alix, Ade, ou Adèle, fille d'Herbert IV, comte de Vermandois, et d'Alix de Crépy, comtesse de Valois. Adèle était veuve d'un prince de sang royal auquel elle avait été mariée vers 1077 : Hugues de France dit le Grand, troisième fils d'Henri Ier, roi de France, et frère de Philippe Ier, également roi de France (1).
(1) Adela, Vermadensis comitissa, conjux Hugonis magni qui fuit germanus Philippi, regis Francorum, cum post mortem ejusdem Hugonis… nupsisset Rainaldo comiti Claromontensis… (Historiens de Fr., XII, 267).
Hugone autem comite mortuo, comes de Claromonte Rainaldus duxit Adelam comitissam in uxorem (Ibid., XIII, p.415).

Hugues de France avait pris la croix et était mort en Palestine, des suites de ses blessures, en 1102, à l'âge de 45 ans (1). Adèle se trouvait par son père, comtesse de Vermandois, et, par sa mère, comtesse de Valois et de Crépy. Veuve d'un croisé, elle épousa un autre croisé. Renaud II devait assurément posséder de grandes qualités pour avoir été jugé digne de cette haute alliance qui apportait un nouveau lustre à sa maison.
(1) Père Anselme. I, 35 D, et 247-248 B.

Adèle mourut en 1123 et fut inhumée en l'église de l'abbaye d'Ourscamp (1).
(1) Carlier.

Elle avait eu du comte Renaud une fille unique qui fut mariée à Charles de Danemark, dit le Bon, comte de Flandres. De son premier mari, elle avait eu plusieurs fils dont l'aîné, à sa majorité, devint comte de Vermandois et fut surnommé le Preux.
Le Vermandois fut réuni à la couronne, en 1186, par le roi Philippe-Auguste.
Renaud épousa, en secondes noces, Clémence, fille du comte de Bar et de Gisle, ou Gisèle de Vaudemont.
On a d'elle une confirmation octroyée en 1136 de concessions faites par ses prédécesseurs à l'abbaye de Chaalis ; on la voit intervenir, avec le comte Renaud, son mari, dans des chartes de 1144, 1152 et 1153, en faveur des religieux de Saint-Leu-d'Esserent (1).
(1) D. Grenier.

En tête d'une des donations faites par le comte Renaud, on lit les quatre vers latins suivants qui ne témoignent pas d'une grande confiance en ses héritiers :
Sublatis patribus, succedit prava juventus
Quorum consiliis pax perit ecclesiis ;
Propterea firmo patrum et mea munera scripto
Ne rapiat proles quod tribuere patres.
"Une fois les pères morts, ils sont remplacés par des jeunes gens peu consciencieux avec lesquels il n'y a plus de repos pour les églises. C'est pourquoi je confirme mes dons et ceux de mes auteurs par un bon écrit. Les fils, de cette manière, ne pourront pas enlever ce qu'ont donné leurs pères".
On voit encore le comte Renaud figurer, en 1156, dans un arbitrage relatif à l'abbaye Saint-Germer. Il mourut, à la fin de cette même année 1156 ou au commencement de 1157.
Sur la vielle route de Montataire à Clermont, chemin impraticable autrement qu'à pied ou à cheval, mais que Renaud a certainement plus d'une fois parcouru, on rencontre un bois assez intéressant pour la chasse qui, de temps immémorial, a fait partie du domaine de Montataire et qui, de temps immémorial aussi, est connu sous le nom de bosquet Messire Renaud.
A-t-il appartenu au comte de Clermont, Seigneur de Montataire, et est-ce de lui qu'il tient son nom ? Ces noms de lieux-dits se perpétuent fort souvent de siècle en siècle. Ce serait pour ce bois un grand honneur que d'avoir un parrain si vieux.
C'est vraisemblablement aussi Renaud qui fortifia le château de Clermont dont le vaste donjon subsiste encore, quoique bien dénaturé.
Lorsqu'on arrive à cette jolie petite ville par les routes de la vallée, on aperçoit, de loin, sur la montagne, un édifice qui la domine fièrement, c'est ce qui reste de l'ancien château. En approchant, on se trouve en présence d'une grande masse carré, soutenue par de nombreux contreforts, percée du haut en bas d'une infinité de fenêtres modernes et surmontée de pignons également modernes, construits à redans (escaliers) à la manière flamande, on n'a jamais su pourquoi. Cela a été fait, sous le premier empire, en 1806. Le bas du donjon, ainsi qu'à Montataire, est voûté. De vastes constructions modernes l'accompagnent. Le tout sert maintenant de prisons.
Comme celui de Montataire, et bien plus encore que celui de Montataire, le château de Clermont était autrefois entouré de remparts et d'une enceinte fortifiée flanquée de tours, dont on retrouve de nombreux vestiges. Les fossés, comblés et plantés, forment avec l'ancienne terrasse qui portait, dès l'an 1378, le nom de châtelier (Castellum), une esplanade qui sert de promenade et d'où l'on domine un magnifique panorama.
La ville elle-même, alors très resserrée, était close de murs avec des fossés et des portes, dont l'une, dite de Nointel, a échappé à la démolition.
En 1815, le prince de Condé, à qui l'on avait confisqué le château, mais qui se trouvait encore propriétaire des remparts et des fossés, les vendit aux particuliers qui s'y sont arrangé quantité de maisonnettes avec jardin d'où l'on jouit d'une fort belle vue.
Si ces remparts avaient pu, comme dans certaines anciennes cités d'outre-Rhin, notamment Francfort et Hambourg, être disposés en promenade publique, cela eût fait de Clermont une petite ville incomparable. Les habitations particulières auraient parfaitement trouvé leur place le long de ce charmant boulevard, dont le parcours eût présenté une série d'aspects des plus remarquables.
La collégiale, ancienne chapelle du château que Renaud avait fait construire, et dans laquelle officiaient douze chanoines, a été complètement détruite en 1359. Il n'en reste que deux chapiteaux bien caractérisés du commencement du XIIe siècle, et un écusson armorié qui a été reproduit par la gravure dans le volume in-folio d'archéologie romane de M. Eugène Woillez (1).
(1) L'église actuelle de la ville, dédiée à saint Samson, n'a été bâtie qu'en 1327 (Graves, p. 94). Le portail est de cette époque, le chœur et les chapelles datent de 1540, les vitraux sont du XVIe siècle. Le clocher est moderne (Emmanuel Woillez. Répertoire archéologique de l'Oise).

Renaud II eut, de Clémence de Bar, sa seconde femme, neuf enfants, de quelques-uns desquels nous aurons à reparler plus loin et dont nous nous contentons, pour le moment, d'énumérer brièvement les noms, à savoir : Raoul, qui fut comte de Clermont après son père ; Simon, seigneur d'Offémont ; Guy, Gautier, Etienne, mentionnés en divers actes avec leurs frères et sœurs ; Hugues, mort en 1199, abbé de Cluny ; Marguerite, mariée à Guy III de Senlis, seigneur de Chantilly ; Mahaut, mariée à Albéric, comte de Dammartin ; enfin Mathilde, à laquelle nous devons nous intéresser tout particulièrement.
C'est elle qui reçut en dot le château de Montataire et le fit passer dans la maison de la Tournelle en épousant, à la fin du XIIe siècle, Rogues ou Roger (1) de la Tournelle.
(1) Rogo de Tornella (Chart. de 1190, X, 139). Rogues, Rogon, Roger étaient les différentes variantes du même nom.

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