Histoire d'un vieux château de France -
Monographie du château de Montataire
par le baron de Condé

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LOUIS DE MADAILLAN

SEIGNEURS DE MONTATAIRE
(1557 – 1576)
ODET DE CHATILLON EVEQUE DE BEAUVAIS

Le fils aîné de Guillaume, Louis de Madaillan, épousa, le 15 avril 1557, Marguerite de Fay-Château rouge, qui lui apportait en mariage la seigneurie et châtellenie de Pont-Saint-Maxence.
A l'occasion de cette alliance, Guillaume de Madaillan fit abandon aux futurs époux de sa terre et seigneurie de Montataire.
Marguerite de Fay était proche parente des Coligny, qui ont joué un si grand rôle politique et religieux au commencement de la Réforme en France. Ils étaient trois frères qui, disent les Mémoires du temps, semblaient n'avoir qu'une seule âme : le célèbre amiral de Coligny, tué à la Saint-Barthélémy, d'Andelot, colonel général d'infanterie, et Odet de Châtillon, cardinal et évêque de Beauvais. Celui-ci avait sa résidence d'été au château de Bresles, d'où il venait quelquefois visiter ses parents de Montataire.
Une chambre du château est restée désignée dans les vieux inventaires sous le nom de chambre du cardinal.
La mère de ces trois frères, Louise de Montmorency, était protestante et très ardente pour les nouvelles idées que ses fils avaient fini par adopter, d'abord d'Andelot, puis l'amiral puis enfin Odet lui-même.
Louise de Fay, devenue dame de Montataire, partageait ces mêmes croyances, et, comme la dame de Coligny, était très zélée protestante. Son influence, l'exemple des Coligny, celui d'une partie de la noblesse qui avait donné dans la Réforme, sans prévoir assurément les maux qui devaient en résulter pour le pays entraînèrent Louis de Madaillan.
Il fit construire, dans le haut de l'enceinte du château de Montataire, entre le château et l'église, un petit temple, connu sous le nom de dôme, dans lequel on faisait le prêche pour le châtelain, les personnes de sa famille et les gens de sa maison.
La tradition veut que ce soit à Montataire qu'ait eu lieu un événement étrange et regrettable de cette époque, le mariage, en 1564, du cardinal de Châtillon avec Isabelle de Hauteville, dame d'honneur de Catherine de France, duchesse de Savoie (1).
(1) Louvet, t. II, p. 628. – Dom Grenier, 222, p. 41.

Odet n'étant plus catholique alors (il avait abjuré au château de Merlemont en 1562) (1), tout porte à croire que c'est dans le petit temple protestant et non dans l'église qu'eut lieu le mariage.
(1) Delettre, Hist. du dioc. De Beauvais.

Hâtons-nous d'ajouter qu'Odet de Châtillon n'était pas prêtre. Jamais il ne reçut la prêtrise.
Par un usage, par un abus assurément très blâmable, admis à cette époque, il avait été pourvu, presqu'enfant, des plus hautes dignités ecclésiastiques. L'influence du connétable Anne de Montmorency, dont il était neveu et filleul, l'avait fait nommer chanoine à treize ans, cardinal à dix-sept, archevêque de Toulouse à dix-sept, archevêque de Toulouse à dix-neuf , évêque comte de Beauvais à vingt ans (1). Avec cela il était pair de France, abbé de seize abbayes et prieur de quatre couvents.
(1) Pour ce titre de comte attribué aux évêques de Beauvais, il faut se rappeler qu'en 1013, Roger, évêque de Beauvais, avait donné à son église le comté de Beauvais qu'il tenait de son frère (Chron. Alberici, Hist. de France 288,A.). Les évêques ses successeurs restèrent comte de Beauvais et devinrent pairs de France. Le château de Bresles était considéré comme le siège féodal de leur comté pairie, ils le défendaient, au besoin, les armes à la main. On voit dans Montfaucon, assistant au sacre de Charles VI, les douze pairs dont le troisième est l'évêque de Beauvais, en complète armure de guerre, avec la mitre épiscopale sur la tête.

Il administrait, bien entendu, ces couvents, ces abbayes, ces diocèses, au moyen de conseils, de délégués et d'évêques in partibus.
En 1561, lors du colloque de Poissy, la reine Catherine de Médicis, qui désirait vivement une fusion, un accord par échange de concessions entre les orthodoxes et les dissidents, avait proposé de demander au saint père l'abolition du célibat ecclésiastique, et le cardinal de Châtillon avait opiné dans ce sens. Cette proposition avait été rejetée.
Quelque déplorable qu'ait été le parti qu'il prit de se marier, sa grande faute est bien plus dans l'éclat de sa rupture avec l'unité religieuse et l'impulsion qu'il donna à la Réforme par son exemple que dans ce mariage lui-même, puisqu'il n'était pas prêtre.
Ferdinand 1er de Médicis qui, après avoir été fait cardinal à l'âge de seize ans, devint, par la mort de son frère, grand-duc de Toscane en 1587, prit pour femme, le 30 avril 1589, Christine de Lorraine, sans que personne y trouvât à redire, et le vertueux archiduc Albert d'Autriche qui épousa, en 1598, sa cousine l'infante Isabelle et gouverna avec elle les Pays-Bas, avait commencé par être cardinal et archevêque de Tolède et n'eut d'autre formalité à remplir pour se marier que de renvoyer son chapeau de cardinal et ses insignes épiscopaux au saint père dont la bénédiction porta bonheur à son gouvernement, l'un des plus heureux et des plus prospères qu'ait eus la Belgique.
Odet de Châtillon est, du reste, une des figures les plus curieuses à étudier de cette époque. Il s'est profondément trompé et son existence a été dévoyée comme celle de ces astres errants qu'un choc violent a détournés pour jamais de la route qui leur avait été tracée ; mais la fin orageuse de sa vie forme le contraste le plus complet avec le caractère doux, aimable et sympathique que lui donnent les Mémoires du temps.
Ses débuts dans l'épiscopat avaient été brillants.
Qund il fit son entrée à Beauvais, le 28 mai 1535, recouvert de la pourpre romaine, monté sur une mule richement caparaçonné, il était accompagné des archevêques de Rouen et de Vienne, des évêques d'Amiens, d'Auxerre, de Meaux, de Coutances et du Mans, de tous les prieurs de ses abbayes, de François de Montmorency et d'un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes (1).
(1) Delettre, Hist. du dioc. De Beauvais.

Il avait fort bon air et grande mine, excellent cœur, beaucoup d'esprit naturel et des manières très affables.
Il était généreux et plein d'aménité. On l'aimait à la cour. Il possédait les séductions de l'esprit, du rang, de l'opulence (i). De Thou le dépeint comme un homme de savoir, d'une rare habileté, plein de ressources et particulièrement doué pour le gouvernement.
(i) Dupont-White, la Ligue de Beauvais.

Lettré lui-même, il encourageait les savants, les poètes, les écrivains. Le quatrième livre du Pantagruel de Rabelais est dédié à monseigneur le cardinal de Châtillon, et l'on a fait remarquer à cette occasion, que c'est la première fois que cette appellation rapportée d'Italie fut donnée en France à un personnage ecclésiastique. Auparavant on appelait les évêques Monsieur.
Quand l'évêque Bernard de Chevesnon fit son entrée en la ville de Beauvais, le 17 janvier 1414, il se conforma au cérémonial usité. L'archidiacre Quentin d'Estrées le reçut sous la porte du châtel et lui dit : " Monsieur, soyez le bienvenu. Il est accoutumé, avant que vous entriez entre vostre chatel de Beauvais que vous fassiez le serment en la forme cy-convenue. " Le prélat remplit ce devoir (1).
Je trouve la qualification de Monseigneur dans la dédicace à Odet de Châtillon d'un curieux petit livre dont deux exemplaires, d'éditions différentes, ont été conservés dans la bibliothèque du château de Montataire. Le premier est intitulé : Petri Bellonii aenomani, te Aquatilibus, cum circonibus ad vivam ipsorum effigiem, ad amplissimum Cardinalem castillionoeum. Parisiis apud C. Stephanum typ. Regium. MDLIII.
(1) Delettre, Hist. du dioc. De Beauvais.

Le second, qui est également imprimé par Ch. Etienne, mais à la date de 1555 et en français, est intitulé : "La nature et la diversité des poissons représentez au plus près du naturel par Pierre Belon, du Mans, dédié à monseigneur de Chastillon, évesque de Beauvais. Ce petit livre est tout rempli de gravures qui donnent une idée bizarre de l'état des études naturelles à cette époque où le merveilleux se mêlait encore, à grande dose, à la science. Le poète Ronsard, qui appelait le cardinal de Châtillon son Mécène, lui dédia son Ode à la philosophie et son Hercule chrétien.
C'est de lui qu'il disait, d'une manière touchante, tout en gémissant sur son erreur ;
Je cognois un seigneur, las ! qui les va suivant,
Duquel jusqu'à la mort demeureray servant.
Je say que le soleil ne voit ça-bas personne
Qui ait le cœur si doux, la nature si bonne…
……………………………….
Las ! que je suis marry que cil qui fut mon maistre
Depestré du filet ne se peut recognoistre ;
Je n'ayme son erreur, mais haïr je ne puis
Un si digne prélat dont le serviteur je suis,
Qui bénin m'a servy, quand fortune prospère
Le tenait près des roys, de seigneur et de père.
Dieu préserve son chef de malheur et d'ennuy,
Et la bonté du ciel puisse tomber sur luy !
Cependant les dissentiments religieux s'étaient exaspérés. Des théories et des doctrines, on était passé aux voies de fait ; le trouble était partout, on avait pris les armes, on se battait : la Réforme avait fatalement amené la guerre civile.
Odet s'était mis en avant et gravement compromis. Informé en son château de Bresles, que deux compagnies de cavalerie s'avançaient pour s'emparer de sa personne, il se déguisa, prit la fuite, traversa la Normandie, parvint à un petit port. Habillé en marinier, il se jeta dans une barque et gagna l'Angleterre où il fut, plus tard, rejoint par sa femme.
Il était bien vu à la cour de Londres et la reine avait beaucoup d'égards pour lui. C'était alors, suivant l'historien de la ligue à Beauvais, un vieillard de belle taille, ayant la barbe blanche et longue, toujours vêtu d'une grande saie de velours ou de satin noir avec un long manteau, sans rien qui rappelât jamais son ancienne dignité de cardinal.
Je ferai remarquer toutefois que ce vieillard à barbe blanche n'avait pas encore cinquante-six ans, puisque né le 10 juillet 1515, il est mort le 14 février 1571.
On prétend, mais je ne reproduis ce petit commérage que sous toutes réserves, qu'ayant demandé à la reine que la comtesse de Beauvais fût traitée, à la cour de Londres, en pairesse, Elisabeth lui aurait répondu qu'elle allait s'enquérir près du roi de France du cérémonial usité pour les femmes de cardinaux.
Odet mourut en 1571, empoisonné par un domestique.
On l'inhuma dans la cathédrale de Cantorbéry.
Mais , en ce dernier asile même, il ne put reposer longtemps. Les iconoclastes renversèrent son tombeau pendant la révolution d'Angleterre.
On a plusieurs portraits d'Odet de Châtillon.
L'intéressante galerie de Chantilly renferme un dessin de 1579 qui représente, en pied, les trois frères Odet de Châtillon, l'amiral de Coligny et le général d'Andelot (1), tous les trois en costume civil. Ce dessin précieux a été gravé plusieurs fois ; il est reproduit dans l'ouvrage de Jacquemin.
(1) On écrivait alors Dandelot

On trouve aussi les portraits des trois frères dans la belle collection de crayons de Niel.
Louis de Madaillan et ses fils, quoique, protestants, ne paraissent pas s'être mêlés aux querelles religieuses qui troublaient si violemment le pays. Ils se contentèrent de suivre honnêtement la carrière des armes dans laquelle Jean de Montataire, fils aîné de Louis, se distingua d'une façon toute particulière comme on le verra au chapitre suivant.
De Louis de Madaillan on a, aux archives du château de Montataire, divers actes d'acquisition des années 1561, 1563 et 1564, les pièces originales en parchemin des foi et hommages par lui rendus, en 1565 à " Catherine, par la grâce de Dieu, reyne de France, mère du roy ", d'un acte du 26 octobre 1570 où figurent tous les notables de Montataire, et beaucoup d'autres pièces dans lesquelles il est en général qualifié de haut et puissant seigneur. Voici les titres et qualités qui lui sont donnés en plusieurs actes :
" Messire Louis de Madaillan, chevalier de l'ordre du roy, colonel et maître de camp des compagnies françaises entretenues par S.M. en Languedoc, seigneur de Montataire et Roberval, châtelain de Pont-Sainte-Maxence, Noet, SaintRémy, ontier, Noé, Saint-Martin, Ruis et Saint-Germain de Bacouel, seigneur des fiefs de Perines et d'Estrelin en Valois… "
Le 13 avril 1576, il n'était plus de ce monde et c'était sa veuve qui rendait foi et hommage au roi pour le domaine de Montataire.
Parmi les notes remontant à l'année qui suivit la mort de Louis de Madaillan, il s'en trouve une bien singulière et qui reflète avec une impcomparable naïveté les idées superstitieuses et sombres de cette époque tragique pleine de troubles et d'épouvantes : " Le jeudi VIIe de novembre en l'année 1577, commença de paroistre une horrible comète avec une longue queue recourbée, tirant de la constellation l'Aigle vers la bouche de Pégase. Aucuns ont écrit qu'elle a 30degrés vers le sagittaire et le Capricorne et qu'elle n'étoit point en la région élémentaire et sublunaire, mais en la céleste. Michel Moeslin démontre qu'elle estoit soubs l'orbe de Vénus. Si cela étoit ainsi… c'estoit chose prodigieuse et contre les principes des physiciens qui n'admettent point la génération des météores dans les orbes célestes. "
Aussi assurait-on que cette horrible comète présageait la mort de quelqu'un.
" La royne mère en conçut une extrême frayeur… mais ne mourut pas. Moururent en cette année Noicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, père de la royne, Louis de la Trémoille, duc de Thouars, et Blaise de Montluc, Maréchal de France. "
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