Alice Olivier-Laurendin - Chroniques familiales Thouarsaises - Déc. 1983
Troisième partie

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Pont suspendu de St-Jacques emporté par un cyclone
Pont suspendu de St-Jacques emporté par un cyclone dans la nuit du 21 au 22 janvier 1893.

Porche d'entrée du Logis de LAUDAIRIE
Fils de domestiques du Comte de Neuilly mon grand-père Louis avait vu le jour dans une chambre des communs au-dessus du porche d'entrée du Logis de LAUDAIRIE au RUAULT de RIGNé

Et le temps passait … Ma mère grandissait. Elle allait à l'école libre de Melle MAISTRE, à l'emplacement du laboratoire RIGOT, rue Pasteur, entourée d'un grand jardin en guise de cour de récréation et qui donnait sur la Place Lavault, sur lequel on construisit vers les années 1920 le Cinéma Palace, aujourd'hui la Caisse d'Epargne.
La ferme des époux Fournigault prospérait. Les couvrailles, les moissons, les vendanges se succédaient. On travaillait beaucoup, mais on était heureux. Et comme les gens heureux, ils n'eurent pas d'histoire.
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Le grand-père Louis

Mon autre grand-père Louis LAURENDIN, de Rigné, marié à Louise PRIMAULT, avait lui aussi suivi son petit bonhomme de chemin.
Ne voulant pas comme deux de ses frères Baptiste et Joseph travailler à la terre, il demanda à son père de lui faire apprendre le métier de tonnelier. Il fit son apprentissage chez M. BUREAU, dont la femme ( la mère Burotte) tenait une petite épicerie rue Saugé à THOUARS.
Comme beaucoup d'enfants de cette époque, mon grand-père Louis ainsi que son beau-frère Félix, n'a pas été à l'école. Mais il décida qu'il saurait lire et écrire. Avant son mariage il en parla à l'instituteur de Rigné, M. LEBRAULT, qui le soir après la classe lui inculqua quelques rudiments de lecture et d'écriture.
Marié, il s'installa à son compte, se fit construire une jolie maison, un atelier, et prit un apprenti: son frère Arthur. Bien sûr il n'avait pas d'argent, mais il avait un tel ascendant sur son entourage (qu'il garda toute sa vie) et l'on sentait déjà en lui une telle volonté de réussir, que tout le monde voulait l'aider, et c'était à qui lui prêterait ses économies...... sans intérêt bien sûr, comme ça pour l'aider!.. "Tu nous rendra ça quand tu pourras... "
Il poussa l'audace jusqu'à se présenter aux élections municipales à Rigné, et fut élu sans difficulté
Un enfant était né le 24 Juin 1879, mon père, Abel.
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Autant mon grand-père Félix est toujours resté humble, effacé, timide, courbant la tête devant "Monsieur Not' Maître", autant mon grand-père Louis était volontaire, autoritaire, ambitieux.
Il nourrissait vis-à-vis des hobereaux, des bourgeois, je ne dirais pas une haine, mais une antipathie qui lui venait de sa petite enfance. Il avait pourtant vu le jour...... dans un château ... ou plus exactement dans une misérable chambre des communs, au-dessus du porche et des tourelles d'entrée, du Logis de Laudairie, au Ruault de Rigné, apanage de Monsieur Charles de BRUNET Comte de NEUILLY, fils naturel a-t-on dit du Comte d'Artois, futur Roi Charles X, qui en avait fait son Ecuyer Cavalcadour (Chef des Ecuries du Roi.)
Mon arrière-grand-père était cocher-jardinier-homme à tout faire, et sa femme cuisinière-femme de basse-cour. Si la Comtesse passait pour une digne femme, aimable, charitable, le Comte était un être dur, despote. On a beaucoup jasé au pays quand on a trouvé le corps de Madame la Comtesse, noyée dans le bassin du parc. Mon grand-père Louis était l'aîné du ménage LAURENDIN. Bientôt un petit frère, puis un deuxième et un troisième arrivèrent grossir la famille: Arthur, Baptiste, Joseph.
On ne pouvait plus rester au Logis avec toutes ces petites bouches à nourrir et à élever. Alors mon arrière-grand-père René, acheta au Ruault une petite maison, loua des terres et des vignes, et se mit à travailler très dur pour faire vivre toute la maisonnée.
Quand Monsieur le Comte en calèche, traversait le village, précédé des clochettes de son équipage, les quatre enfants LAURENDIN couraient au bord de la route, et en rang d'oignons, tortillant dans leurs menottes leurs bonnets de grosse laine, faisaient la révérence et récitaient d'une même voix: "Bonjour Monsieur le Comte .... Bonjour Monsieur le Comte …
Monsieur le Comte faisait arrêter sa voiture, et fouillant dans ses poches, il en tirait une poignée de morceaux de sucre que d'un geste théâtral, il leur jetait à la volée. Les enfants couraient à la maison, la maman dans quatre bols leur préparait une "soupine" avec le sucre, de l'eau et de la boisson de prunelles, dans laquelle ils trempaient une tartine de pain noir.
Je sais que mon grand-père n'oublia jamais la façon dont un "bourgeois" lui jetait une pierre de sucre dans la boue du chemin, comme une récompense à un petit chien savant.
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Aussi, dès qu'il put juger les gens et les choses, il partagea délibérément les gens en deux catégories : d'abord "les bourgeois", avec les orgueilleux comtes, les arrogants, tous ceux qui vivent du pauvre monde,
ensuite "les gueux", petite paysans, domestiques, les humbles, tout ceux qui rampent, qui triment, qui traînent une vie sans joie,
et pour faire bon compte, il ajouta une mini-catégorie: "les calotins" tous les gens d'église qu'il accusait de suivre docilement les bourgeois. Comme son autorité se manifestait dès sa jeunesse, il décida non pas pour en tirer gloire dans son entourage, mais simplement pour lui-même, qu'un "gueux" (devenu "prolétaire' lorsqu'il se lança dans la politique à THOUARS), pouvait arriver à ne faire une place honorable dans la société, et parodiant cent ans à l'avance Léo Ferré dire "merde aux bourgeois" ....
N'oublions pas que ceci se passait aux alentours de 1870, et que dans notre région Nord-Deux-Sèvres, une émancipation commençait à percer. Un nom arrivait jusque dans nos campagnes: Emile Zola....
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Ici je veux placer une anecdote qui dépeint si bien le caractère de mon grand-père :
Quand celui-ci, le 24 Juin 1879, arriva tout joyeux déclarer à la mairie de Rigné qu'un petit Laurendin venait de naître, le secrétaire demanda : "Comment l'appelles-tu ce p'tit gars?" – "Abel, dit mon grand-père" Réponse de l'officier de l'état-civil : "Quoi? Tu veux l'appeler comme le fils de Monsieur le Comte?" -"Et pourquoi pas ?" dit mon grand-père. – "C'est bien prétentieux.... tu pourrais l'appeler.... Anatole..." et sur ce, le secrétaire trempa sa plume dans l'encrier, et enregistra la naissance......d'Anatole LAURENDIN!
Mon grand-père piqua une colère terrible assortie certainement d'une bordée de jurons (c'était sa façon à lui de se "défouler". et refusa de signer. C'est ainsi que le petit Anatole resta pendant plusieurs années (mais oui!) sans être reconnu par son père !... c'est sur les instances réitérées de ma grand'mère qu'il finit par s'incliner. Mais en définitive, il eut le dernier mot: pour la famille et pour les amis, mon père s'est toujours appelé Abel......
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Naissance du Tonneau

C'est en 1892 qu'il décida de venir s'installer à THOUARS dans le terrain contigu à la ferme de son beau-frère, avec une idée bien arrêtée: faire prospérer son atelier de tonnellerie. Le pays Thouarsais est en pleine évolution viticole, et il faudra de plus en plus d'hommes de métier pour faire et réparer les barriques. Son fils avait douze ans, il venait de passer son certificat d'études : il en ferait un tonnelier !
Il vend sa maison du Ruault à son frère Arthur, qui lui aussi perpétuera le métier puisque son fils et plus tard son petit-fils à leur tour manieront le jabloire et la colombe. Cette maison est habitée aujourd'hui par la petite-fille d'Arthur, ma filleule Rosemonde LAURENDIN et son mari Jean DEFREMONT.
Mon grand-père Louis emménagea en l893, "l'année du bon vin" comme on le dira encore longtemps après dans la région thouarsaise.
En 12 ans, le quartier de la gare s'était transformé : plus de cultures, mais des maisons partout, et des commerces : une boucherie, une charcuterie, deux boulangeries … et des cafés : un, deux, trois, face à la gare. Depuis peu un bureau de tabac.
Il fait donc construire non pas une mais deux maisons attenantes : la sienne avec une petite vitrine où il expose tout ce qui se rapporte à la vigne : les petite barils d'un litre, de deux litres, que les cultivateurs emportent pour se ravitailler dans les champs, des bondes de barriques, etc. ... et des battoirs pour les laveuses qui, à 1'instar de la Mère Denis, allaient gaillardement savonner leur linge sous les lavoirs de St-Jacques et du Moulin du Vicomte....
Derrière le petit magasin, la cuisine et son atelier. L'autre maison, et bien il la louera pour un commerce d'épicerie qui manquait dans le quartier. Ce sont deux maisons d'une certaine importance pour leur époque, avec rez-de-chaussée, premier étage et grenier sur le tout, reliée, entr'elles par un porche fermé d'une lourde porte de bois (actuellement n° 48, 50, 52 avenue Victor Leclerc.)
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Pour servir à l'histoire familiale - Jalons AP - Février 2000