Alice Olivier-Laurendin - Chroniques familiales Thouarsaises - Déc. 1983
Cinquième partie

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Les beaux soirs du bistrot

Il y eut aussi dans le bistrot de mon grand-père Louis d'autres soirs joyeux.

Un cheminots ou un ouvrier du Dépôt, prenait-il sa retraite? On lui faisait une 'conduite'. C'était tout un cérémonial. D'abord le nouveau retraité montait pour la dernière fois sur sa machine (s'il était du Service Roulant) et on plaçait sur la voie où il passait et repassait, des pétards. Cela faisait un joli tapage, surtout que le sifflet de la machine n'arrêtait pas .... Ensuite on juchait le récipiendaire sur une charrette à bras fleurie et décorée, tirée par les copains, avec derrière tout un cortège chantant et riant .... et en route pour le café du Tonneau. On buvait sec, on chantait fort, et on repartait tard dans la nuit, conduire dans le même équipage, le retraité jusque chez lui.

C'est sur ce petit triangle entre les avenues Victor Leclerc et Victor Hugo que s'arrêta il y a un siècle, l'équipage de la mère GOUMIN, qui arrachait les dents.….

Qu'elle était belle notre gare avec sa grande marquise, ses bibliothèques, son Buffet …

Qu'on me pardonne d'avoir si longtemps évoqué le 'Café du Tonneau" c'est qu'après avoir été le bistrot de mon grand-père, il fut celui de mon père, et que j'y ai passé toute mon enfance et une partie de ma jeunesse. Bien mieux, il n'est jamais sorti de mon horizon puisqu'il est là sous mes yeux chaque jour, à quelques mètres de mes fenêtres...
Cher petit bistrot dont tous les clients étaient nos amis...
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La mère Goumin

Au carrefour qui existe toujours en 1984, des avenues Victor Leclerc, Victor Hugo, Denis Papin, Anatole France et avenue de la gare, où se trouve aujourd'hui un joli parterre de fleurs, se situait dans les années 1890/1900 une petite placette triangulaire dite "Place du 14 Juillet". Elle prit en 1910 sur proposition de mon grand-père Louis au Conseil Municipal de cette époque, le nom de 'Place du Chevalier de la Barre' en souvenir du fameux Chevalier du même nom, accusé de n'avoir pas salué une procession, et de lire des livres de Voltaire! Il fut décapité en I766 et son corps brûlé. La Convention le réhabilita le 25 Brumaire an II (Dictionnaire Larousse).
On érigea beaucoup plus tard à cet endroit un bassin avec au milieu une vasque remplie d'eau, que les gens du quartier désignèrent sous le nom de 'carrefour de la Vasque'.
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Et bien à cet endroit il y a donc près d'un siècle, s'arrêta on n'a jamais su pourquoi, une roulotte traînée par un vieux cheval, et conduite par une femme qui allait acquérir une certaine "notoriété" non seulement dans le quartier, mais dans toute la ville. Pensez donc, elle arrachait les dents! … C'était la mère GOUMIN.
A cette époque THOUARS ne comptait pas de dentiste. Quiconque souffrait d'une canine ou d'une molaire n'avait qu'une ressource : recourir aux bons offices de la mère GOUMIN! Pas question bien sûr de soigner.... non, non, on arrachait!
Mais ceci ne se passait pas dans sa roulotte. Elle avait trouvé beaucoup plus pratique de venir opérer chez mon grand-père Félix et là, faisant asseoir le patient sur une chaise avancée par ma grand' mère, dans le vestibule, en un tournemain avec une pince dite "bec de corbin', elle vous débarrassait de l'objet de vos souffrances. Après quoi, pour ravigoter le pauvre client qui n'en était pas encore revenu, elle ne manquait jamais de crier à l'adresse de mon grand-père : "Allez mon petit Félix, donnes-lui un verre de goutte pour le remonter..." - "Je savais très bien me disait mon grand-père quand il me racontait cette anecdote, ce qui me restait à faire je remplissais à l'intention de la "dentiste" un deuxième verre qu'elle avalait à la hussarde (on dit chez nous "à cul sec') en essuyant à son tablier ses mains encore toutes ensanglantées...."
… Et puis un jour, au bout de quelques années, la mère GOUMIN s'en est allée comme elle était venue, avec sa vieille guimbarde et son cheval poussif, vers peut-être une autre destinée, en tout cas, en laissant derrière elle, un morceau de folklore … !
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De coiffes en bonnets

Mon grand-père Félix, en ces vingt dernières années n'avait pas beaucoup changé. Timide, effacé, toujours prêt à rendre service, n'aimant ni le bruit ni les discussions, il était estimé de tous ses voisins. Mais, d'être toujours penché vers la terre, sa colonne vertébrale atteinte d'une scoliose qui ne fut jamais soignée, allait se tasser d'année en année, pour devenir complètement courbée à la fin de sa vie en 1924.
Mon grand-père Louis toujours bel homme, n'avait pas perdu un pouce de sa taille. Bien mieux, ce mètre 70 qu'on relève sur son livret militaire a toujours paru dérisoire. Il avait une façon à lui de se tenir si droit et la tête haute, qu'on lui décernait facilement dix centimètres de plus. Lorsqu'il décéda en octobre 1933, à l'âge de 82 ans, c'était encore et toujours le même homme droit comme un chêne, aux cheveux noirs … "Tête de fou ne grisonne jamais … !" aimait-il à dire avec un humour qu'il garda jusqu'à sa mort.
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Ma grand-mère Louise savait admirablement broder sur tulle, les guirlandes de fleurs qui ornaient "la galante" et "la câline", ces deux grandes coiffes de cérémonie portées par les dames de la ville. Non seulement elle les brodait, mais aussi les montait et les repassait.
Et bien, ma grand'mère n'a jamais porté ni la galante ni la câline, celle-ci étaient réservées aux dames, aux "bourgeoises", et ma grand'mère n'était pas une bourgeoise. Son conjoint ne manquait jamais de le lui rappeler, mais elle avait assez de bon sens pour l'admettre d'elle même.

Sa sœur Adèle comme toutes les femmes de la campagne portait "le bonnet à la huppe", petite coiffure rectangulaire ornée d'un triple rang de dentelle tuyautée et très amidonnée nouée sous le cou d'un beau nœud de ruban.

Sa belle-sœur, femme du frère Henri PRIMAULT, de St-Michel, fille d'un gros propriétaire de Féoles, rangée du côté bourgeois, coiffait la câline les jours de grandes fêtes.
Alors ma grand-mère Louise avait trouvé un compromis: elle porterait "la tourangelle" cette si jolie coiffe ronde qui nous venait d'Anjou, et qui commençait à être"très mode" dans le Nord Poitou.

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Pendant cette même époque, que devenait mon grand-père Louis?
Son café prospérait, on avait du engager une petite bonne. Son fils devenait un excellent ouvrier tonnelier, le métier marchait rondement autant par les réparations que par la confection des barriques qui se faisait dans l'atelier et dans la cour.
Conseiller Municipal, il fut membre de différentes commissions, et s'occupa avec autant d'énergie et de fougue, des affaires locales que de ses propres affaires. Il fut entr'autre administrateur de la Caisse d'Epargne.
Sa loyauté, son bon sens étaient reconnus par tous. Il eut de nombreux amis dans toutes les classes de la société.
Cela ne lui tourna jamais la tête: "prolétaire" il était, et le resterait toute sa vie. Et je suis sûre que si à ses derniers moments (et cela je le crois tellement il avait gardé toute sa lucidité), il fit le bilan de sa vie, il fut content de lui. Il avait gagné son pari. "Ne pas monter bien haut peut-être, dit le poète, mais tout seul .... C'est ce qu'il fit sans l'aide de quelque "chapelle", malgré avoir été souvent sollicité. Brave grand-père !
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Pour servir à l'histoire familiale - Jalons AP - Février 2000