Alice Olivier-Laurendin - Chroniques familiales Thouarsaises - Déc. 1983
Sixième partie

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Le coffre-fort

A propos de la Caisse d'Epargne alors installée rue Drouineau de Brie, il m'a raconté l'anecdote suivante, qui m'avait à l'époque amusée et très impressionnée.
Ceci se passait en 1904. Le trésorier, M. CHANTAIZE venait de mourir. Le Conseil d'Administration se réunit sous la Présidence de M. Clément MENARD Maire, pour procéder à la nomination de son successeur. Fut ainsi désigné, M. THIBAUDEAU.
On procède à la vérification des comptes. Tout est bien. Reste à inventorier le coffre-fort. Et c'est là qu'apparaît la difficulté! En effet, seul M. CHANTAIZE possédait la clef et connaissait la combinaison de l'ouverture! Chacun s'escrime sans succès sur la lourde porte. Que faire? Nous sommes en 1904, rien ne se solutionnait aussi rapidement qu'aujourd'hui et la situation risquait de se prolonger. C'est alors que quelqu'un dans l'assistance eut une idée de génie. Il faut dire qu'à cette époque, le Château de THOUARS était et est resté jusqu'en 1925, une Maison Centrale de Force, où les prisonniers purgeaient de lourdes peines.
Or, il se trouvait parmi les "pensionnaires" de l'établissement, un cambrioleur de coffres-forts! Alors? Après un moment de stupeur générale, on se décide à le faire venir.
Et voilà comment, bien encadré par ses gardiens, sans autre outil que ses mains, en deux temps et trois mouvements, un malfrat très spécialisé, a ouvert la porte du coffre-fort de la Caisse d'Epargne sous les yeux ébahis de ces Messieurs du Conseil d'Administration.
Le Président, très aimablement, lui a proposé une récompense: "Et bien m'a dit mon grand-père qui assistait à la scène, devines ce qu'il a répondu? D'abord il a remercié, puis il a demandé une cigarette, et si possible, pour le repas du soir, deux oeufs sur le plat, et une tasse de café!…"
Depuis cette date au moins deux personnes connurent la combinaison du coffre. Lequel du reste a été changé peu après.. on ne sait jamais.
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Vint l'ère des 'CLOS'.

Il était de bon ton pour les gros propriétaires de THOUARS de posséder à l'écart du centre, dans la périphérie, une parcelle de terre sur laquelle on édifiait une maisonnette, le tout entouré de murs: c'était "le Clos". On y faisait du jardinage, on y plantait des fleurs, des arbres fruitiers, des rosiers, quelques pieds de vigne, pour se distraire. On y jouait en somme au "gentleman farmer". On y amenait sa famille le dimanche après-midi.
C'est ainsi qu'il y eut le Clos Bergson, le Clos Bridier, et au Bourgneuf, le Clos de M. Bardet le percepteur, le Clos Pallu boucher, et bien d'autres.
De son beau-père, mon grand-père Louis possédait justement quelques ares de terre au lieu-dit "Le Champ Mouton" au Bourgneuf, touchant la même grandeur donnée à ses deux beaux-frères : mon grand-père Félix et mon oncle Primault lesquels avaient planté la totalité de leur part, en vigne.(Aujourd'hui lotissement Guy de Maupassant). Mon grand-père Louis ne voulait pas avoir une grande vigne à cultiver, mais pour un "prolétaire" pas question d'avoir un "Clos" on n'avait jamais vu çà! ...
Alors comme toujours, il tourna la difficulté: qu'à cela ne tienne, lui il aurait sa "Colonie" ... !
Et le voilà traçant des allées, faisant construire une jolie maisonnette en pierres, plantant un peu de vigne (tradition oblige), beaucoup d'arbres fruitiers : pêchers, pruniers, cerisiers. Et puis des arbres qu'on ne voyait pas ailleurs: un mûrier (ce qui lui était l'occasion de m'expliquer l'élevage des vers à soie), une touffe d'herbe de la Pampa qu'il appelait ses "Plumeaux" à proximité du puits, un néflier, deux beaux sapins qui prirent en peu d'années des proportions énormes. Autour de la maisonnette, des primevères, des violettes, et sous les arbres, des fraises des bois.
Oh! les belles heures passées dans cet éden chaleureux, auprès de ce grand-père qui savait si bien m'expliquer la vie.
J'oubliais, pas de murs autour de la Colonie. Ici on ne craint pas les maraudeurs seulement une belle haie d'aubépine rose.
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Les beaux voyages du grand-père Louis

N'ayant aucune culture (et pour cause), mon grand-père Louis s'intéressait à tout, curieux des nouvelles méthodes de travail, du monde en général et de l'actualité. Il aimait être au courant, ne craignant jamais d'interroger ici et là ceux qui savaient. Non seulement il écoutait, il apprenait … Mais il voulait voir, il voulait voir un peu ce qui se passait au dehors … au dehors de Thouars, de Rigné, du Café du Tonneau..! Et il rêvait. Oh, les moyens étaient limités: il y avait le travail, les barriques à fabriquer, le vin à tirer, à vendre chopine par chopine, la femme, le fils … le train-train quotidien.
Pourtant déjà en 1878 alors qu'il était encore à Rigné, il s'était évadé avec sa femme Louise pendant quelques jours, à l'occasion de l'Exposition Universelle qui se tenait à Paris. Il avait vu des choses et des choses (le Palais du Trocadéro avec ses jardins, ses cascades), des gens de tous les pays, de toutes les couleurs et il racontait ses souvenirs avec une verve émaillée d'humour, car il était un conteur extraordinaire.
Ma grand'mère elle, était revenue fatiguée, lasse de tout le temps à piétiner, de palais en palais, bousculée de ci de là..... et jurait ses grande Dieux qu'on ne l'y prendrait plus …
Alors"le patron' décidait que lorsque l'occasion se présenterait à nouveau, il ne la laisserait pas passer, et partirait tout seul ...
Et les occasions se sont présentées, peu nombreuses bien sûr, mais de temps à autre .... et il les saisissait !
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Ce fut l'Exposition Universelle de PARIS en 1889, dont il rapporta un joli verre de cristal St-Louis, avec finement gravé, le dessin de la grande vedette du jour : la Tour Eiffel!
Une personnalité internationale venait-elle en visite officielle à PARIS ? Mon grand-père prenait le train en gare de THOUARS, et quatre heures après, sans quitter son compartiment, débarquait dans la Capitale. Et oui, c'était ainsi, bien avant'.... 1984!..
En octobre 1896, par exemple, M. Félix Faure Président de la République recevait l'Empereur de toutes les Russies, Nicolas II et l'Impératrice Alix.
"Je veux voir à quoi çà ressemble un Empereur..." dit mon grand-père, et le voilà parti....
Il faut croire que l'impression fut bonne et que la Russie de l896 lui inspira confiance, puisqu'il revint avec, soigneusement plié au fond de sa valise, un grand drapeau jaune au milieu duquel se détachait en noir, l'aigle impérial et souscrivait bientôt trois obligations à l'Emprunt du Chemin de Fer de la Mer Noire à 4 I/2 %...!
Pour un Empire il n'aurait pas manqué l'Exposition Universelle de 1900 d'où il est revenu émerveillé: Le Grand Palais …, le Pont Alexandre III … Bien sûr il est monté dans le métro dont c'était 1'inauguration : "Cà c'est une invention du tonnerre .... Çà va vite, on gagne du temps dommage qu'on ne voit pas le paysage...!" Et il m'arrive encore de regarder en rêvant, l'album tout enluminé qu'il a rapporté et que j'ai ressorti du grenier où il disparaissait sous la poussière.

Porte Monumentale Champs-élysées
EXPOSITION UNIVERSELLE DE PARIS EN 1900
Porte Monumentale Champs-élysées

Les trains de plaisir

Enfin en 1903, c'est le Roi Victor Emmanuel III d'Italie et la Reine Hélène que le bon Président LOUBET recevait. Là encore on a pu voir au bord d'une avenue au milieu d'une grande foule de curieux, mon grand-père Louis regardant passer le cortège officiel.
Là cependant mon grand-père a perdu sûrement la plus belle occasion de gagner la considération générale des clients du "Tonneau". En effet, à cette époque, le Président LOUBET avait comme Premier Huissier un garçon de chez nous, Louis AUGEARD né à Massais, où il est décédé du reste dans la même commune vers 1955, après avoir été au service de HUIT Présidents de la République. Je suis persuadée que si mon grand-père avait été au courant ( … mais hélas, il ne l'était pas … ), … il serait allé serrer la main de Louis AUGEARD … à l'Elysée! … Vous imaginez … !
Je pense que l'ère des grandes évasions parisiennes s'arrête là. Il y eut alors les voyages (on ne disait pas encore "excursions") avec ma grand'mère Louise cette fois, en "trains de plaisir" aux Sables d'Olonne, à Fourras, à Royan. C'étaient des transports spéciaux l'été, par le train à prix réduit, réservés aux touristes d'une journée. On partait de bonne heure le matin. On emportait son casse-croûte que l'on avalait devant la grande bleue, en groupes joyeux. On ne trempait les jambes dans l'eau en s'éclaboussant de bon cœur, et on reprenait dans les mêmes wagons, le chemin du retour vers 22 heures, en chantant "En R'venant d'la R'vue...."
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La Noce

Pendant tout ce temps mes grands-parents FOURNIGAULT menaient sagement leur vie de cultivateurs au rythme des saisons. Les randonnées du beau-frère Louis ne les tentaient pas le moins du monde. Au retour ils avaient du reste le compte-rendu fidèle de toute cette agitation, la description de tous ces Palais qu'ils ne connaîtraient jamais … et je pense même que cela les effrayait! ....
Ma mère avait grandi dans cette ambiance ouatée et aidait autant qu'elle le pouvait aux travaux de la ferme.
De son côté, mon père était devenu un excellent ouvrier tonnelier. Il partit faire son Service Militaire au 33ème Régiment d'Artillerie à POITIERS.
Comme mon grand-père Louis avait voulu que son fils soit musicien (oh! bien sûr il ne jouerait pas du piano comme le fils de Monsieur le Comte ) mais du violon! Et pour bien faire les choses il lui en acheta deux: un demi pour le début, et un entier pour plus tard. Le professeur fut BERTRAND de Rigné, vous savez BERTRAND qui faisait si bien danser les filles aux Assemblées… Je ne sais qui a continué l'enseignement à Thouars, toujours est-il que mon père avait un joli talent de musicien qui lui permit lorsqu'il arriva sous les drapeaux, d'entrer dans la musique du régiment, et d'en sortir Maréchal des Logis-Trompette. Ses chefs lui conseillaient de "rengager" et de se faire une situation dans l'armée.
Mais le grand-père Louis mis au courant, fit la grimace "Tu vendras de la porcelaine...." entendait Le Petit Chose d'Alphonse Daudet … "Tu resteras tonnelier"..conseillait-on fermement à mon père, et … mon père resta tonnelier.
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A vrai dire depuis quelque temps déjà, un projet était dans l'air : ce cousin et cette cousine de même age, à vivre pratiquement ensemble comme frère et sœur, finirent par se voir d'un autre oeil en grandissant … et ce qui devait sans doute arriver arriva! La consanguinité n'a pas semblé être un obstacle au désir des deux cousins, qui, pour le plus grand bonheur de toute la famille, convolaient en justes noces, le 4 janvier 1904 devant Monsieur Clément MENARD Maire de Thouars, la messe de mariage étant célébrée en l'église St-Médard.
Ce furent deux jours de liesse sous un "parquet" chauffé installé dans la cour de la ferme. Et j'ai sous les yeux la note de M. POINGT le boulanger d'en face, qui fournit le pain. Elle est datée du 9 Janvier 1904. J'y lit :
Fourniture pour la noce LAURENDIN-FOURNIGAULT:
10 pains de 4 livres à 0,50 5 Frs
20 pains de deux livres à 0,275 5 Frs 50
155 petits pains à 0,075 11 Frs 50

TOTAL : 22 Frs
Qu'en dîtes-vous ?
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L'essor du "Tonneau"

Il fut convenu (et je crois bien que mon grand-père Louis fut l'instigateur de la chose) que le jeune ménage prendrait à son compte l'exploitation du Café du Tonneau. On aménagea deux petites pièces précédant la salle de café: une cuisine, et ce qu'on baptisa pompeusement la salle à manger. La chambre à coucher restera celle de ma mère dans la ferme voisine. Si bien que le soir il fallait traverser 'le passage' pour aller se coucher. Rien de changé pour mes grands-parents LAURENDIN qui garderont leur logement et la petite boutique d'accessoires vinicoles. Bien entendu mon grand-père Louis aidera mon père pour les travaux de tonnellerie toujours très florissants.
Ma mère se mit bien vite au courant de son nouveau métier, et avec l'aide d'une petite bonne, le Café du Tonneau repartit pour une nouvelle jeunesse.
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Mon père très adroit, y apporta quelques nouveautés: il installa dans la cour jouxtant la salle, des 'tonnelles' très à la mode à cette époque : petites carcasses de lattes de bois, servant de support à des pieds de vigne (des treilles) qui au bout de deux ou trois ans, recouvraient le tout, et fournissaient une ombre très appréciée des clients, qui, le dimanche après-midi venaient s'asseoir sous les ombrages avec femmes et enfants. On commandait une bouteille de vin bouché, et on dégustait une galette achetée chez COURJAULT le pâtissier du quartier.
A l'époque les distractions étaient rares: pas de cinéma, pas de radio ni de télévision, pas de cassettes-vidéo … La famille vivait beaucoup rapprochée, et ma foi les clients de la semaine: cheminots, imprimeurs, ouvriers, ne trouvaient rien de mieux que de venir passer une heure ou deux le dimanche "Au Tonneau, chez LAURENDIN, sous les tonnelles". Comme chacun se connaissait on liait rapidement conversation, les femmes parlaient cuisine, les enfants jouaient ensemble. On passait un bon après-midi, et le soir on se séparait sur un joyeux "au revoir les amis ...... à dimanche prochain!"
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Pour servir à l'histoire familiale - Jalons AP - Février 2000