Alice Olivier-Laurendin - Chroniques familiales Thouarsaises - Déc. 1983
Quatrième partie

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Voici donc réunies à partir de 1893, les deux sœurs PRIMAULT leurs époux, et leurs enfants. Car rien ne séparait la ferme du café, seulement une grande allée qu'on appellera toujours "le passage", bien pratique pour les uns et les autres. L'entente fut et restera parfaite entre les deux ménages. Bien entendu mon grand-père Louis domina toujours de la taille et de l'esprit, la petite communauté et cela paraissait si naturel, qu'on n'imagina jamais qu'il put en être autrement.
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L'essor du chemin de fer

Au bout de quelques mois, mon grand-père Louis eut une idée ..... et il en eut des idées dans sa vie !
Les cafés près de la gare, grâce à la clientèle cheminote, faisaient de fructueuses affaires. N'a-t-on pas adjoint à la gare, un vaste atelier "Le Dépôt" où l'on répare les locomotives de tout le Réseau de l'Ouest, ce qui amène sur place de nombreux ouvriers spécialisés, qui s'installent avec leurs familles près de leur lieu de travail.

Cette activité ferroviaire prit un tel essor, qu'elle changea totalement la physionomie de notre ville qui, d'année en année (mais surtout à partir de 1920) devint d'avant-garde et mérita le surnom, non seulement dans les Deux-Sèvres mais dans toute la Région Ouest, de "Ville Cheminote".
Donc mon grand-père eut une idée: il va ouvrir lui aussi et dans son atelier même, non pas un "café", mais un "bistrot' où l'on boira le bon jus des vignes de Rigné, de Mauzé, sans oublier le fameux "breton" de Pompois … debout, en trinquant sur les tonneaux qu'il répare et ça s'appellera "Le Tonneau" .... il existe toujours ! (ndw : en 1983)

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Le café du Tonneau …
Cher petit bistrot dont tous les clients étaient nos amis ! ….

Les trains circulent à plein. Les grands rapides PARIS-BORDEAUX s'arrêtent tous en gare de THOUARS pour "faire de l'eau" et le plein de charbon, car c'est l'ère des trains à vapeur.
Quelle était belle notre gare avec sa grande "marquise", ses deux bibliothèques l'une sur les quais l'autre salle des pas perdus, et son Buffet bien achalandé dont le dernier tenancier fut M. Brochet avant qu'en 1939 tout cela disparaisse ! Souvenir d'une certaine visite du Directeur de notre Région Ouest, M. DAUTRY.....
Les chauffeurs, les mécaniciens avec leurs grosses lunettes, profitent de cet arrêt pour courir faire emplir les bidons et ces outres qu'on appelait des "peaux de bouc", dans le premier café rencontré, et il n'y avait que l'embarras du choix.
Malheureusement, "Le Tonneau" qui commence à être fréquenté par les gens du quartier et les cheminots sédentaires, se trouve un peu plus haut, et les "Gueules Noires" doivent aller vite.

Alors mon grand-père a tout de suite compris : ce vin qu'on vend partout trois sous le litre il va le vendre deux sous, et pour ce sou gagné, les cheminots de passage délèguent le plus rapide d'entr'eux qui, bardé de 4, 5, 6 récipients, pique un cent mètres au "Tonneau" d'où il repart en un instant avec tous ses bidons pleins , et en prime un bon verre de vin offert par le patron.... Et çà marche!...
A ce train-là il faut s'agrandir. On a gagné un peu d'argent, on va faire construire une salle de café, une grande à la place de 1'atelier, et ce dernier on le transportera plus loin dans la cour, la place ne manque pas. Et c'est ainsi que d'année en année, dès qu'il mettait quelqu'argent de côté, il construisait. Un hangar ici, une buanderie là, etc. .... toute sorte de petits bâtiments sans aucune unité, donc pas très homogènes il faut bien le dire, mais il était heureux dès que quelque chose sortait de terre.

Il a aussi fait creuser une cave à la façon d'un souterrain, avec une entrée dans la cour, et une sortie rue Voltaire, très vaste où l'on pourra entreposer beaucoup de bouteilles, beaucoup de barriques, et des tas de rangées d'étagères pour le vin bouché.
Et il y en aura besoin! ... Dans une année aux environs de 1900, 300 barriques ont été vendues dans l'année..... au litre et à la "chopine". Presque une barrique de 220 litres par jour, on croit rêver ... Et ce n'était pas un petit travail d'aller tirer le vin dans la cave, par paniers de six et huit litres, et l'été le faire rafraîchir dans des petits bassins remplis d'eau fraîche … tirée au puits voisin ! …

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Les élections locales

Et c'est à cette époque que M. Clément MENARD crée une Fabrique de Produits Vétérinaires avec son fameux "Météorifuge" qui fit pendant près d'un siècle sa renommée et aida à la prospérité de la Ville.
Il venait d'acheter à M. BEBEAU Marchand de bois, grand-père de Mme Jacques WURTZ rue Réjane à THOUARS, une très belle demeure récemment construite, aujourd'hui propriété de M. Jacques MENARD Sénateur, à quelques mètres de la ferme de mon grand-père Félix et du Café du Tonneau, de l'autre côté de l'avenue. Il y adjoignit des bureaux, des laboratoires (aujourd'hui l'A.N.E.P.) et embaucha du personnel. D'autre part comme il avait l'intention de faire de la politique, il fit construire une Imprimerie dans une partie de son jardin, "l'Imprimerie Nouvelle" disparue depuis peu et remplacée par un magasin de chauffage et Sanitaire, qui fut très florissante. Elle sortit bientôt un hebdomadaire "Le Bocage et la Plaine" qui aida grandement au succès qu'obtint M. Clément MENARD sur le plan Municipal et Départemental.

Mon grand-père Louis qui avait fait ses premières armes à Rigné, n'avait pas tardé à "remettre çà" à Thouars.
A ce moment-là, deux partis se partageaient le choix des électeurs : "Les Républicains", et la droite, dite "Réactionnaire". Carrément rangé dans la première catégorie, il milita toute sa vie au sein du Parti Radical porte-drapeau du libéralisme à cette époque, et s'inscrivit à la première occasion, sur la liste de M. Clément MENARD, contre la liste de M. SEIGNAN....... Et fut élu Conseiller Municipal en 1902. Souvent j'ai pensé combien il eut été heureux s'il avait pu prévoir que sa petite-fille un jour lointain, prendrait en quelque sorte le relais (au moins pour le temps d'une législature), et siégerait en qualité de conseillère municipale, autour de la même table.... et sous la présidence de M. Jacques MENARD Maire, petit-neveu de M. Clément MENARD.
Pour bien afficher ses idées politiques, il fit crépir ses maisons aux couleurs nationales: bleu pour la sienne, blanc au-dessus du porche, et rouge pour l'épicerie.
Çà, c'est tout mon grand-père, sincère jusqu'à l'exubérance et un tantinet cocardier ....

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Oh! les beaux soirs du Café du Tonneau durant les campagnes électorales! Car les querelles, toutes proportions gardées, étaient les mêmes que l'on connaît aujourd'hui en pareille circonstance. Seuls les moyens différaient et pour cause : pas de télé, pas de radio. Restaient les écrits, les affiches, les articles de journaux dans "Le Bocage et la Plaine" pour le Parti Républicain, "La Raison Populaire" imprimée à l'Imprimerie Thouarsaise rue de la Trémoille, pour les autres.

Le Poste de Commandement pour les "Ménardistes" était installé dans la salle de café du Tonneau, le soir après la fermeture. La tactique était la suivante: l'équipe de colleurs d'affiches avait pour mission de repérer celles posées par les adversaires, de les décoller en vitesse, et de les ramener à toute allure.
Le comité de rédaction qui siégeait sur place, rédigeait illico la réponse, on la portait à l'Imprimerie Nouvelle (où les typos travaillaient une partie de la nuit), et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, les colleurs repartaient. Il arrivait que les deux équipes ennemies se trouvent face à face... On échangeait des propos aigre-doux, et les pots de colle venaient souvent coiffer l'adversaire!.... Mais çà s'arrêtait là, et on repartait au galop. Le lendemain pas de plaintes de part et d'autre. Les élections passées on se serrait la main...... en attendant la prochaine campagne!

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Pour servir à l'histoire familiale - Jalons AP - Février 2000