Alice Olivier-Laurendin - Chroniques familiales Thouarsaises - Déc. 1983
Deuxième partie

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Les Ormeaux

J'ai parlé de la Place Lavault.
Bien avant l'annexion, et longtemps après, elle était bordée ainsi qu'une petite place, dite "du Boël" lui faisant suite, de très beaux ormeaux dont quelques vieux thouarsais dont je suis, ont connu les derniers spécimens. Et ces ormeaux qui ont mis plus de cent ans à mourir l'un après l'autre, de vieillesse, ont une histoire.
Ils avaient été plantés en 1811.
....... A la naissance du fils de Napoléon Ier, le Roi de Rome, il y eut à THOUARS une fête grandiose. Toutes les autorités civiles et militaires, sur l'invitation faite le 1er décembre 1811, se rendirent au lieu-dit La Vau, pour y planter quatre ormeaux formant les extrémités de deux rues, chacune de 18 arbres qui doivent former une allée depuis le grand chemin de SAUMUR jusqu'à l'Auberge du 'Dauphin'. Cette auberge changerait le nom qu'elle porte en celui du "Jeune Prince".
Ceci est extrait du procès-verbal du 1er décembre 1811, signé Louis RICHOU Maire, et Audebert Adjoint. L'allée qui doit être plantée le lendemain porterait le nom de "Roi de Rome" (aujourd'hui Pierre Curie). Mais il y eut Waterloo.... Ste-Hélène et "Le Jeune Prince" disparut au profit de l'ancienne appellation. Et c'est ainsi que l'on peut voir encore de nos jours, à la même place, un café-restaurant près du marché couvert, rebaptisé "Le Dauphin' sans en connaître l'histoire. Et il m'arrive, en voyant le pauvre cétacé se balancer dans l'air au bout de sa potence, de penser à M. Louis RICHOU et à la fragilité du Souvenir).
Mais ce n'est pas tout pour nos beaux ormeaux.
Soixante ans plus tard, alors que nous venions d'être vaincus par les Allemands pendant la guerre de 1870-71, lors la retraite des troupes françaises, la fameuse Armée de la Loire commandée par le Général CHANZY, en route pour le Mans, est passée par là et a bivouaqué place Lavault. Tous les chevaux ont été attachés aux troncs de nos ormeaux sous la surveillance des hommes de troupe, cependant que les officiers étaient hébergés chez les habitants de THOUARS, ainsi bien sûr que le Général CHANZY.
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La construction de la maison

Je reviens à mon grand-père Félix.
Le voilà donc nanti d'une belle parcelle de terre, et un projet se fait jour dans son esprit, projet fabuleux pour ce pauvre petit "mange-pain-perdu": il allait faire construire une ferme qu'il exploiterait avec sa femme: Jacquou le Croquant devenait propriétaire …
Cette maison qui est aujourd'hui la mienne, au 54 avenue Victor Leclerc, ne s'est pas faite en six mois: il a fallu deux ans..!
Je n'entre pas dans les détails. Sachez cependant que mon grand-père alla chercher les pierres de la construction à SAUMUR, le soir après la travail à la ferme de Fleury, avec un cheval et une charrette .... Il rentrait au petit matin.... pour reprendre le travail des champs, et il me dit maintes fois, que le cheval finissait le trajet tout seul, le conducteur épuisé dormant, calé sur son tas de pierres...
Ceci se passait en 1880.
De mois en mois la maison grandissait. La cave d'abord qu'il a voulu très grande et voûtée pour y entreposer des barriques de vin, des betteraves. Il y fit installer un pressoir.
J'ai retrouvé dans les papiers de la famille, la facture du maçon, M. TEXIER, certifiée véritable par Me GARSUAULT Joseph Expert à Belleville, et datée du 18 août l882, elle s'élève à 1.860 F70 et celle de la cave voûtée sous la maison à 34 F95.
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Comme il avait beaucoup observé chez les autres, et qu'il avait du goût, il a voulu que sa maison ait un grand jardin d'agrément avec les trois tilleuls toujours debout qui nous dispensent un appréciable ombrage l'été, un potager derrière communiquant avec les dépendances de la ferme: écuries, hangars, fenils, etc … le tout, débouchant sur une nouvelle artère : la rue Voltaire.
Une petite fille, Clotilde, ma mère, était née à Fleury le 26 août 1881.
Il emménagea avec peu de choses en 1882. Mon arrière grand-père PRIMAULT lui fit l'avance de deux vaches, d'un cheval, et avec Adèle on se mit au travail.
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Un nouveau quartier

Dès le mois de mai 1885, des chantiers s'ouvrirent dans ce tout nouveau quartier de THOUARS.
On y a tracé des avenues, des boulevards, des rues, depuis la place Lavault jusqu'à la gare et le passage à niveau: la route Nationale 138 prit le nom du Maire Victor Leclerc (on lui devait bien ça), les Boulevards Thiers, de la République, l'avenue Jean Jaurès, la rue Jules Guesde etc. … tous noms bien représentatifs de leur époque.<
En une dizaine d'années, toutes les maisons que l'on y voit en 1984 sont sorties de terre. Malheureusement, nombre de façades ont été victimes de restaurations pas toujours très heureuses.
Beaucoup de cheminots travaillant à la gare louaient les maisons que d'astucieux constructeurs faisaient édifier. Alignées par quatre, cinq ou six, on les appelait des "cités" qui prenaient le nom de leurs propriétaires : il y eut la cité Gabilly, la cité Roux, la cité Perrand, etc. … Les familles Robineau, Battreau, Marié, Poingt, venant de Tourtenay, d'Argentan l'Eglise, de Ste-Verge, qui possédaient des terres dans ce périmètre, se construisaient de belles demeures aux alentours de la ferme de mon grand-père.
Et ça marchait très bien pour le ménage Fournigault. On plantait, on labourait, on récoltait avec tant de joie. Les terres données par le papa Primault ne suffisaient pas à apaiser l'ardeur de l'ancien petit orphelin, qui agrandit son exploitation en louant des terres. On augmenta le cheptel. Les sacs de blé s'entassaient dans le grenier. La vigne plantée au Bourgneuf, commençait à donner de beaux raisins noirs que l'on pressait dans la cave et qui donnaient un excellent vin rouge.
Bientôt on loua une servante.
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Dans ce quartier neuf, à population jeune, on enregistra de nombreuses naissances. Quelle aubaine pour les mamans d'avoir à portée de la main, une ferme où l'on venait chaque soir chercher le lait que ma grand'mère venait tout juste de traire!
Il m'est arrivé en 1980 de rencontrer une vieille dame charmante, Mme RUEIL, veuve en premières noces du Docteur PILLOT, me dire " Je n'oublie pas que j'ai été élevée avec le lait des vaches de votre grand'mère..."

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Pour servir à l'histoire familiale - Jalons AP - Février 2000