Eglise Notre Dame de MONTATAIRE

par Pierre Durvin (1908-1990), ancien président de la Société Archéologique de Creil

L'église de Montataire, comme son aînée de Saint-Vaast-Les-Mello ou sa sœur de très peu plus ancienne de Saint Leu-d'Esserent, est bâtie tout à fait sur l'extrémité de la puissante couche de calcaire grossier. Moins majestueuse que l'église du prieuré de Saint-Leu, elle semble être plus qu'elle un hymne à la pierre qui a fait dès l'antiquité la richesse de la région.
Pourtant, ce n'est pas de la pierre, mais de la rivière, qu'elle domine du haut de son promontoire, que la première agglomération humaine a tiré son nom : Mons ad Taram, Montataire.

Cette pointe avancée de plateau fut toujours un lieu vénéré. Dès l'époque gallo-romaine on tira de la masse rocheuse les blocs capables de permettre la taille de grands sarcophages, on y enterra les morts jusque durant l'époque mérovingienne. Les fouilles effectuées il y a cent ans par le baron de Condé, celles qui ont été faites dans les dernières années, l'ont démontré. Déjà vers 1849 un éboulement du talus avait mis au jour toute une rangée de sarcophages dont les vases ont permis la datation du IXème siècle.
Les seigneurs qui élèveront le premier château dès le début du Xlllème siècle pensèrent aussi bientôt à se mettre sous la protection divine en bâtissant une église dédiée à la Vierge Marie. Ce n'est cependant que tout à fait à la fin du XIIème siècle qu'ils mirent leur projet à exécution.
C'est à l'intérieur seulement qu'il est possible de constater l'existence d'une église primitive de la fin du XIIème siècle.
Cette partie de l'édifice est moins élevée que le reste. Elle se caractérise par les murs des bas-côtés percés à l'origine de fenêtres en plein cintre, aujourd'hui aveuglées, et qui donnent à cette partie de la nef l'aspect d'un faux triforium. Il y a quatre fenêtres de cette sorte de chaque côté. Cette partie antérieure de la nef est voûtée, en bois, poutres et planches, travail vraisemblablement effectué au XVIème siècle.
De part et d'autre de cette partie de la nef on note une triple arcature sur quatre piliers. Les piliers engagés dans la partie antérieure où s'ouvre le portail sont du XIIIème siècle, légers, a trois colonnettes et au chapiteau orné à gauche de fins feuillages et à droite de crochets.
Les deux piliers suivants à droite se composent d'une colonne robuste ronde, flanquée de quatre colonnes engagées plus petites, ainsi le pilier est cruciforme. Le second des chapiteaux, massifs, est orné- de grandes feuilles finement sculptées sur les chapiteaux eux-mêmes.

Mais entre ces chapiteaux existe une décoration qui suscite un vif intérêt : vers la nef principale, à droite, étaient sculptés deux animaux, un mammifère indéterminé et probablement un oiseau dont on ne voit plus que les pattes ; à gauche, une chimère qui s'enroule en une volute très élégante, la queue semble se terminer par une sorte de tête. Vers le bas-côté droit se trouvent sculptés vers la droite un chien et un oiseau ;

à gauche un groupe fort curieux : deux personnages à corps d'oiseau mais à tête humaine, à gauche une tête de femme couronnée et à droite une tête d'homme barbu qui fut aussi couronnée, mais cet emblème a été gratté; bien que se faisant face, les deux personnages ont la tête renversée vers l'arrière ; ils sont réunis par leurs pattes d'oiseau, patte droite de l'homme tenant la patte gauche de la femme, tandis que de la patte droite la femme tient dressée une fleur d'arum ; cette fleur est aisément reconnaissable à sa bractée enfermant les grains ; cette fleur, a-t-on pensé, fut jadis le symbole de la seigneurie, de la puissance et de l'autorité. Ainsi cette sculpture représenterait à elle seule une page d'histoire du moyen âge : Mathilde, fille de Renaud II de Clermont offrirait en dot à Rogues de la Tournelle le château de Montataire. Ce sont ces personnages qui vers la fin du XIIème siècle auraient entrepris la construction de la première église.
Le premier pilier de droite est orné seulement de feuillages.
Quant au troisième pilier il marque l'interruption dans la construction de la seconde église. L'arc ogival est brisé vers l'est et tombe abrupt sur une masse cubique de pierre, au lieu d'un chapiteau, une décoration de feuillage stylisés.
Les piliers du côté gauche de la nef ont la même composition cruciforme, leurs chapiteaux ne portent qu'une décoration de feuillages parmi lesquels des pommes et des grappes de raisin.
Nous avons là décrit ce qui reste de l'église primitive de la fin du XIIème siècle. Au cours de la deuxième moitié du XIIIème siècle, on entreprit de construire une église plus vaste, la pierre s'offrait au pied même de l'édifice.

Examen des extérieurs de l'édifice

La construction nouvelle commença par l'édification d'un chœur d'une grande majesté. Mais pour plus de commodité, commençons l'étude de l'église du XIIIème siècle par le portail principal.

Intérieur de la partie primitive de l'église du XIIème siècle.

Comme l'ensemble de l'église est légèrement à un niveau inférieur à celui du plateau, sans doute pour rencontrer la masse naturelle du calcaire, quelques marches descendantes précèdent le portail. Ce dernier est à quatre rentrants fort simples, composés de boudins de diamètres différents. Les chapiteaux qui les reçoivent sont ornés de crochets, couronnent huit colonnes gracieuses monolithes reposant sur des socles octogonaux.
L'archivolte extérieure en boudin repose à ses extrémités sur deux têtes.
Le tympan est nu et le linteau composé prend une forme légèrement arquée.
Au-dessus du portail, une frise large de feuillage à crosses entablées. Cette même frise est reprise vers les bas côtés à droite et à gauche, à un niveau un peu inférieur; cette frise orne toutes les corniches autour de l'église et même celle de la tour. Ainsi se trouve soulignée l'unité de style et sans doute la rapidité de la construction du XIIIème, siècle.
Dominant le portail, mais légèrement en retrait, un pignon pointu, percé d'une grande fenêtre sans meneaux, qui semble plus tardive et qui est couronnée par une archivolte à boudins, s'achevant de chaque extrémité par un personnage détruit, dont on ne voit plus que les plis du vêtement.
En faisant face au portail, de l'extérieur, on aperçoit à droite en s'élevant au-dessus de la toiture du bas côté- droit, une cheminée en pierre d'ouverture ovale. On fait assez fréquemment remarquer la rareté de ces cheminées dans les églises; pourtant l'église de Creil en possédait une également.

Etude de l'extérieur de l'église côté sud

Faisons le tour de l'édifice en partant vers le bas côté droit. On remarque, sur cette partie de l'église, une toiture à forte pente, toute en maçonnerie de pierre ; il en est de même pour la couverture du bas côté gauche ; l'église de Montataire est un hymne à la pierre disions-nous plus haut. Les trois premiers contreforts sont entourés par la large frise à crosses entablées et dominés par un cube de pierre dont la taille va décroissant vers l'Est. Un portail s'ouvre du côté Sud. Il est à trois rentrants flanqués de deux contreforts, qui soutiennent une avancée ogivale dominée par un gable.
Le rentrant le plus extérieur est très décoré d'animaux s'opposant et de feuillages, mais l'érosion les a passablement attaqués. Les autres rentrants n'ont que des boudins séparés par des cavets. De part et d'autre, les trois chapiteaux sont taillés dans un seul bloc de pierre. Leur décoration est faite de feuillages et de fleurs finement sculptés et l'ornement de ces chapiteaux se continue vers l'extérieur, par une frise de même hauteur, où l'on peut distinguer des feuilles de tilleul, de platane, de chêne.
Le tympan est occupé par un bloc monolithe dans lequel a été sculpté le groupe de l'Annonciation. Tandis que l'ensemble du portail est incontestablement du XIIIème siècle, ce groupe a été sculpté au XVIème siècle. Les personnages ont été sans doute décapités au cours de la révolution française, quand on martela les écus qui se trouvent sculptés sous les agenouilloirs sur lesquels reposent les personnages,
Les plis des vêtements de la Vierge et de l'ange Gabriel tombent assez lourdement. Entre les deux personnages se trouve un vase élancé d'où partent des fleurs. Au-dessus du groupe, dans un angle, apparaît la colombe représentant le Saint Esprit.
La partie postérieure de la nef qui tient au chœur est beaucoup plus élevée. On remarque cinq contreforts dans cette partie. Entre les deux premiers qui sont dominés par des gargouilles, s'ouvre une large fenêtre démunie de ses meneaux. Un boudin en ogive qui entoure la partie haute vient s'appuyer sur de fines colonnettes, par l'intermédiaire de deux petits chapiteaux à bouquets de fleurs. Entre les contreforts suivants s'ouvrent des fenêtres plus étroites mais de même style que la précédente.
Entre le quatrième et le cinquième contrefort, la fenêtre est très haute et à double rentrant, colonnettes et boudins doubles, comme on le remarquera, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, pour toutes les fenêtres du chœur ; pour donner plus de légèreté d'aspect les petits chapiteaux sont à des hauteurs différentes, les plus extérieurs sont plus haut, de sorte que l'arc extérieur est moins grand que l'arc intérieur. Vers l'Est, le pignon du bas côté droit est percé d'une fenêtre à ouvertures géminées, surmontées d'un oculus rond. Les meneaux sont fortement marqués par des boudins, les petits chapiteaux sont ornés de fines crossettes. Au-dessous, se trouve le bâtiment de la sacristie à cinq côtés ; même la corniche de cette construction est ornée de la grande frise à crosses entablées.
Le chœur est très élevé et à cinq pans. Les trois fenêtres du fond sont à ouvertures géminées et oculus rond, celles des côtés sont simples sans oculus.

Etude de l'extérieur de l'église côté nord

Passons vers le côté Nord. Le bas côté est d'abord couvert par un toit à pente forte, en maçonnerie de pierre blanche. Les trois contreforts de ce côté ne possèdent pas de cube de pierre pour les renforcer. La région de la nef centrale est couverte d'une charpente en bois et d'ardoises. On voit mieux, de ce côté, les pierres d'attente de l'extrémité ouest du mur. Entre le premier et le deuxième contrefort plus écartés, se trouve une large fenêtre, mais celle-ci a conservé ses meneaux qui la partage en trois arcatures tréflées au-dessus desquelles s'étagent trois oculi en trèfle à quatre feuilles. Les autres fenêtres sont identiques à celles du côté Sud.
Le clocher-tour du XIIIème siècle est une masse imposante par sa hauteur. Il est carré. Chaque angle est soutenu par deux contreforts, un sur chaque face; chaque contrefort présente un ressaut dans le haut, et une frise en boudin les ceinture au niveau de la base des hautes fenêtres géminées, qui percent chacun des quatre côtés. Ces fenêtres sont à triple rentrant, l'arcature ogivale, formée de boudins de diamètres différents, les colonnes engagées, sont couronnées de chapiteaux à décoration florale.
Le sommet s'achève par une balustrade haute, aveugle, chaque angle en forme de tourelle. La corniche est ornée de la large frise à crochets comme tout l'édifice.
Sur le flanc Nord s'accroche une haute tourelle à cinq pans ; elle contient l'escalier; dans sa partie haute elle aveugle en partie l'une des fenêtres hautes. A la base de la tour, entre l'escalier et le contrefort de gauche, une très longue et mince fenêtre à deux rentrants, elle est aujourd'hui aveuglée.
Le bas côté gauche ne s'achève pas par une chapelle, mais par une petite salle basse, éclairée par deux fenêtres : celle de l'est, simple, à deux rentrants à arcature tréflée simple dominée par un oculus à trois lobes ; celle du côté nord, à ouverture géminée et oculus à quatre lobes. Toutes ces fenêtres sont ornées de petits chapiteaux à bouquets de fleurs qui couronnent les colonnettes engagées des pieds droits et des meneaux centraux.

Etude intérieure de l'église du XIIIème siècle

En achevant la description intérieure des vestiges conservés de l'église primitive du XIIème siècle finissant, nous avons noté que la troisième arcature s'achève en chute abrupte. Fut-il un instant question de démolir cette partie ancienne? On pourrait le penser, car au-dessus du quatrième pilier carré, sur lequel s'appuie l'avancée la plus occidentale de l'œuvre du XIIIème siècle, on peut voir l'amorce d'un arc, tant à droite qu'à gauche. Pourtant on s'est arrêté là. Dans son livre sur "L'Histoire d'un vieux château de France" le baron de Condé explique que les seigneurs du XIIIème siècle ne voulurent pas détruire l'ancienne partie où l'on pouvait voir, sculpté dans la pierre, le souvenir des premiers constructeurs leurs ancêtres.
Cependant les bas-côtés droit et gauche encadrant les restes de l'ancienne église sont du XIIIème siècle, moins élevés que les bas-côtés de la partie de la nef voûtée du XIIIème siècle.
Ces bas-côtés sont voûtés en pierre, avec nervures à double boudin qui se croisent sans clef et reposent contre les murs extérieurs sur des piliers légers à triple colonne engagée, fonctionnelle. Les chapiteaux sont ornés de petites crosses nombreuses. Un gracieux arc formeret enjambe l'espace entre les piliers et impose sa courbe aux fenêtres qui, de la sorte, ne sont vraiment ni ogivales ni en plein cintre.
La petite médiane de la nef, c'est-à-dire celle qui se trouve entre le chœur et ce qui a été conservé de l'ancienne église, est beaucoup plus élevée. Elle comprend trois travées, la première est presque sur un plan carré, tandis que les deux autres sont sur un plan barlong. Les piliers sont beaucoup plus composites, selon le nombre de nervures qu'ils doivent recevoir. Les chapiteaux à droite sont ornés de multiples crochets et à gauche, de feuillage. Les nervures sont composées d'un gros boudin pincé, accosté de boudins plus petits.
Le grand arc de gauche offre à sa retombée vers l'est une tête humaine ornée d'une coiffure à deux pointes et dont les pans descendent sur les épaules.
Les voûtes des bas-côtés sont plus basses mais tout démontre qu'elles ont été construites à la même époque que la nef principale et que le chœur, selon un plan parfaitement ordonné, et rapidement exécuté.
Une magnifique colonnade décore les murs des bas-côtés de cette partie de l'égrise, et elle se prolonge tout autour du chœur. Chaque arcature entre les colonnes est tréflée. Pour alléger les espaces plats entre les arcatures on y a pratiqué des percées en forme de trèfle, pointe en bas. Les colonnes sont monolithes et les petits chapiteaux qui les couronnent portent un double étage de petits bouquets de feuillage et d'une grande variété.
Quelques colonnes manquent dans le bas-côté gauche. Sur le pourtour du chœur les colonnes sont engagées, font vraiment partie du mur, en indiquant les rangées de pierre.
La voûte du chœur est partagée en huit compartiments, séparés par huit nervures à gros tore pincé, accosté de deux petits tores. Ces nervures se ressemblent en un point situé vers les deux tiers intérieurs de l'espace central, autour d'une clef en couronne de feuillage. Les chapiteaux, sur lesquels elles reposent, sont ornés de bouquets de feuillage. L'ensemble est d'une grâce extrêmement légère, largement éclairé par les hautes fenêtres à ouvertures géminées surmontées d'oculi.
Il y a une chapelle dans le fond du bas-côté droit. Une statue de la vierge, peut-être du XIVème siècle la décore.
Le bas-côté gauche n'a pas de chapelle, mais une sorte de petite salle plus basse. La retombée des nervures de sa voûte se fait, entre les fenêtres, sur un cul de lampe orné d'une tête féminine.

Le mobilier

Le mobilier est très rare dans l'église de Montataire, aussi, malgré la beauté et la richesse de son architecture et de sa décoration, paraît-elle vide.
Sur les corniches des gros chapiteaux du XIIème siècle on a posé de grandes figurations en bois sculptés représentant les symboles des quatre évangélistes. Ces statues proviennent du cloître de la cathédrale de Beauvais où elles étaient jadis entreposées. Une petite statue de Saint-Pierre du XVIIIème siècle en pierre, la statue de la Vierge notée ci-dessus, et un grand Christ du XVIIème (?) derrière l'autel, c'est tout. Après les marches d'entrée à gauche, on voit un confessionnal du XVIIème siècle
Malgré sa composition récente et déjà fort délabrée, peut-être faut il signaler l'ornementation de l'autel et du pavé qui le précède, à cause de l'originalité du sujet.
La face de l'autel vers les fidèles est recouverte d'une plaque de pierre qui occupe toute la surface; au centre un arbre et l'inscription : "Paradis" ; de part et d'autre deux grands cercles dans lesquels on a gravé à droite deux griffons mangeant un fruit, à gauche deux oiseaux faisant le même geste. Ces dessins sont nettement inspirés des figurations orientales du péché originel.
Sur le pavé on remarque l'assemblage de très grandes dalles dont celle du centre présente le Père éternel créant les montagnes et les mers et tout ce quelles renferment. Aux quatre angles, dans un rond, des figurations de fleuves, les quatre fleuves du paradis terrestre selon le livre de la Genèse : Euphrates, Tigris, Phison et Géhon.
Retour Accueil Mons ad Theram Voir les anciennes cartes postales de l'église Retour haut de page